lundi 11 novembre 2013

Je voulais te parler de Dausse et de son palmier, commence Bosseigne.

Je voulais te parler de Dausse et de son palmier, commence Bosseigne.

Il faisait un beau soleil. Vent fort. Rien à faire. Un dimanche. Nous en profitions souvent pour nous raconter nos rêves ces jours-là. Les dimanches s'offrent comme une plaine large et libre devant nous. Pas de travaux en vue. Ou alors entretien du jardin, rangements, rien de fâcheux. Des tâches familières et nécessaires. Rien à penser, seulement à agir.

Son palmier est mort.
Le nôtre tient le coup, ai-je fait remarquer à mon parent. Il résiste.
Celui de Dausse était spécial, il lui indiquait la ligne de l'horizon comme une certitude inébranlable.
Une sorte de baromètre de l'horizontalité?
En quelque sorte. Mais aussi un indicateur météorologique et théologique. Comme aurait noté ton cher Caproni. Dausse en faisait son appui, son témoin, son...
Qui est Dausse? ai-je fini par demander à mon parent.


Bosseigne n'a pas répondu tout de suite. Ma question le surprenait peut-être tant ce nom de Dausse présentait à ses yeux une évidence. Un peu comme la collection de peignes que j'avais vue chez une de ses amies hongroises, chercheuse elle aussi. Ou comme Joker ou la Tapissière.

Je ne suis pas sûr de savoir te répondre, a-t-il commencé. Mais Dausse appartient à quelque chose de plus grand que moi, c'est pourquoi je ne sais pas comment te le présenter. Ce n'est pas un de mes amis.
C'est un peu comme la persane, tu vois. De ces noms, de ces gens qu'on côtoie sans les connaître mais en les approchant d'assez près malgré tout.
Il vit dans un roman?
On pourrait le dire comme ça. Plutôt dans une lettre. Ou mieux, dans un rêve.
Un des tiens? Un de ceux que tu m'as racontés?
Non.

A nouveau Bosseigne se taisait. Je ne savais pas quoi lui dire. Poser des questions pertinentes est difficile, surtout un dimanche matin où le vent souffle si fort qu'il interdit toute vraie concentration.
Je préférais attendre que mon parent se décidât à me raconter la suite de l'histoire du palmier.

Les palmiers sont attaqués par un mal sournois, une chenille qui se cache dans le tronc et les tue à petit feu. Le jardinier me l'avait expliqué. Une sorte de cancer des palmiers. Terrifiant comme la vision des mourants, avait-il ajouté, les arbres comme nous se décharnent et meurent. Lorsqu'on est bien portant, les joues pleines et roses, les cheveux sur la tête, comment imaginer l'inimaginable. Nous nous étions tus, soudainement accablés. Et là, ce dimanche matin, entre la mort des palmiers et l'énigmatique Dausse, mon parent pris de mutisme semblait déconcerté.

Ce Dausse, tout de même. Un jour ici, l'autre là-bas. Et nous, toujours à parler ensemble.
C'est bien, non?
Oui, oui. Mais Dausse vit dans une lettre. Pas dans un rêve, ni dans un roman. Une lettre, tu te rends compte?
Il est vivant?
Attends-moi, je vais chercher de quoi te faire comprendre qui est Dausse.
Et le palmier?
C'est une autre histoire.
Vraie?
Comme toutes celles que nous nous racontons.

Bosseigne encore une fois.
Nos histoires sont vraies, toutes.
Mais tout de même.  Il faut que Bosseigne.
Revenu avec un livre dans la main. Il va enfin m'éclairer, ai-je pensé.

J'ai rêvé que nos lits étaient redevenus des tombes. Mais rien de triste, une douce manière d'en finir. Et le palmier s'endormait avec nous de cette même mort tranquille. C'est là que Dausse apparaît. Non pas dans le rêve, non.
Où alors? (Je me sentais devenir impatiente, avec l'envie de dire une chose un peu méchante, histoire de provoquer mon parent et qu'il dise à la fin qui était ce Dausse mystérieux.)
Dans une lettre.
A toi adressée, que tu as écrite, que tu as trouvée?(rafales de questions pour obtenir une réponse)
Ecoute: "cette partie de la lettre était, en surplus, munie d'une petite voilure bleue..."
Je ne comprends pas.
C'est une lettre de Walter Benjamin dans laquelle il raconte un de ses rêves où il est compagnie de son ami Dausse. Tu comprends mieux maintenant?
Non. Mais j'aime assez ta manière d'embrouiller les choses.
C'est à cause de ces voyages incessants que je fais. Il vaudrait mieux qu'assis à mon bureau je lise et rédige...
Assis suppose un fauteuil...
Nous y revoilà, a conclu Bosseigne.
Eh bien Noël approche.
Tu crois aux miracles?
Non, mais à Dausse et à son palmier, ça devrait suffire.

Bosseigne a ri. Moi aussi.
C'était suffisant pour une journée de dimanche.
Oui, tout à fait suffisant.
Et nous en sommes restés là.
Entre Dausse et son palmier.


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