vendredi 6 septembre 2013

Vraiment, le paradis, la Suisse?

Ce mot dès le matin de paradis à vous enlever tout espoir, dit Bosseigne.

J'avais rêvé d'un étrange détail, quelques restes d'on ne sait quoi en gros plan sur une étagère et m'étais réveillée avec une solide migraine. Et ce mot étrangement venu au petit déjeuner, ce mot tout seul, bravement énoncé, paradis.
Dessin SD

C'est la proximité du départ, tu te souviens ce que nous avions dit?
Nous ne sommes pas allés chercher le dernier morceau du puzzle, ai-je répondu.
Le fauteuil! Ah, tu y penses toujours!
Surtout depuis que nous avons échangé nos bureaux...
De là le paradis, évidemment. on le cherche depuis l'enfance, non?
Et on voyage toujours par amour, je me souviens.
Donc la Suisse.

Nous mangions nos tartines en silence. Nous étions encore deux parents. Demain nous serions séparés. Notre vie serait différente. Le paradis, l'enfer. Chacun dans le sien. Mais là, ensemble, à discuter comme si de rien n'était ou comme si je n'allais pas quitter notre maison et Bosseigne. Pour ne plus jamais revenir. Chaque voyage que je fais, tandis que Bosseigne reste à la maison, cette impression que je peux disparaître dans une faille du paysage; d'ailleurs sous le canton de Vaud, là où je me rendais, existait bel et bien une faille géologique importante. Je ne dis jamais rien de ces bizarres sentiments à mon parent qui me voit toujours revenir avec plaisir comme il m'a regardée partir avec confiance. Pourtant c'est lui qui avait prononcé cette phrase initiale sur l'espoir perdu.

A la page 161 du petit recueil Locutions et Proverbes, reprend Bosseigne l'inlassable, livre publié dans la Bibliothèque des chercheurs et des curieux ( ce que nous sommes tous les deux, non?) en 1928 par la Librairie Delagrave, on lit au mot paradis un court extrait du Dictionnaire de la conversation (un livre pour nous!) évoquant au théâtre "ces loges étouffées, véritables nids juchés dans les combles..."pour dénoncer une fausse explication par antiphrase. Mais le mot paradis n'est-il pas toujours ironique en nombre de ses emplois? Il n'y a qu'à se souvenir du Jardin des Délices de Bosch. Qu'en penses-tu?

Bosseigne brandit un pauvre vieux livre comme preuve. Que veut-il ce matin avec tant d'insistance? me mettre en garde contre la Suisse qui rime avec délices? J'emporte peu avec moi, ai-je envie de lui expliquer. Gustave Roud bien entendu. Et un peu de Walser. Soutter sera à Lausanne. Petit traité de la rêverie en plaine, ce sera peut-être le titre du journal que je veux essayer de tenir. Je ne dis rien, bois mon café mexicain, essaie à toute force de chasser la migraine.

Le paradis est fragmentaire et je vais tenter de t'en ramener un petit bout, ai-je fini par répondre.

Bosseigne a paru s'en satisfaire. Et le café est meilleur chaud. Nous le dégustions et chacun imaginait son prochain petit déjeuner sans l'autre. Du silence, il y en aurait. Qu'en ferions-nous chacun? Nous écririons des lettres, de l'un à l'autre, aux amis aussi, nous parlerions seuls comme la mère de Peter Handke avant son suicide, puis nous reformerions cet étrange tandem que la mort de ma mère avait consolidé autour d'un legs (une maison) et d'un héritage (un fauteuil).

Bosseigne s'est levé bruyamment pour interrompre une rêverie par trop mélancolique.
Au travail, a-t-il simplement dit.
Oui, au travail. Ma valise à terminer.
Et puis en voyage!
Voilà pour ce matin.






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