vendredi 13 septembre 2013

Attendre, dit Roud, ces brigands du Jorat connaissaient la musique!

Mon cher parent,

Bien entendu commencer une lettre suppose de savoir à qui l'on s'adresse.
Et la famille en fuite se recompose avec ce mot de parent que je te donne, tu ne m'en voudras pas.
Bonjour, cher B. aurais-je pu choisir pour commencer la nouvelle lettre, mais non.
Car ici, en Suisse, la question familiale est au centre.
Comme dit la chère Claire, notre famille en morceaux peut se recomposer avec Roud, Walser, Soutter.
Parcouru un texte de Sereine Berlotier, Soutter sous la terre. Relu les titres des oeuvres avec émotion.
Tous des Suisses. Le tronc de l'arbre généalogique s'en portera mieux, en effet.


Tu le vois, la lettre servira de journal, incapable que je suis d'en rester à une écriture de diariste, ayant besoin du regard exercé qui est le tien, à la fois critique et imaginatif. M'en suis fait la réflexion en parcourant de journal de Ramuz hier soir. Il me faut, pour écrire, sentir la tension de l'autre vers qui j'écris.

Et ce matin, lecture au petit-déjeuner de la fille de Frisch, un autre grand suisse mais qui n'est pas de ma famille, à la différence de cet autre contre qui j'ai gagné mon pari, Paul Nizon. C'était à Dijon, il était question du Fernet-Branca. Y en avait-il ou pas dans le café où nous étions? Evidemment que oui! J'ai gagné. Le billet de cinq euros est toujours dans mon bureau.


Mais il était question pour moi d'autre chose, d'un verbe, attendre, retrouvé chez Gustave Roud mais aussi chez d'autres dans des sens différents. Les brigands du Jorat attendaient les voyageurs pour les tuer et les détrousser, pays rude que ce Jorat pauvre d'autrefois. Aujourd'hui il semble si simple et propre, beau et tendre que j'ai du mal à voir au coin des bois ces brigands dont parle Gustave Roud. Je vois plutôt des moissonneurs au beau visage hâlé et aux bras brunis de soleil. Aimé, pour mémoire. Du reste, les photographies de Gustave Roud ne montrent aucun brigand mais des paysans en plein travail. Le besoin de faire des images pour un écrivain est une chose qui interroge. Ainsi je pars souvent avec mon appareil et ai pris l'habitude de photographier les différentes étapes de mes travaux de broderie et de collage. J'ignore quelle en est la nécessité mais elle existe. Il s'agit à la fois d'attendre et d'atteindre le moment exact où la pièce sera terminée et, bizarrement, l'oeil extérieur sera celui que me donne l'objectif. Le mot est bien choisi! Etait-ce une motivation analogue qui guidait Gustave Roud? Ou bien voulait-il arrêter un peu ce temps qui broierait les aimés? Il y a évidemment de ça dans ses images. Mais aussi autre chose: cette attente du moment d'écrire et ce geste de prendre des photos beaucoup plus facile en société que de se mettre à écrire, là, sur le champ où travaillent les hommes.


Je me souviens qu'un ami, il y a longtemps, m'avait donné la traduction du verbe attendre en espagnol: esperar. Rien de ça en français. Ni en suisse.

Chez Denise Mützenberg et Claire Krähenbühl, le verbe attendre désigne l'attente vécue par leurs parents des jumelles à naître.
Arturo Trumba et la petite mariée des orties.
Chez Roud, la proie que les brigands espèrent.
Chez d'autres, comme dans le dernier roman de Javier Marias ( tu sais mon admiration pour son oeuvre et la relation particulière qui m'a unie à cet écrivain espagnol), c'est l'attente d'un moment heureux: en l'occurrence l'attente fébrile de la narratrice pour qui voir chaque matin un couple dans la cafétéria où ils prennent tous les jours leur petit déjeuner est gage d'apaisement pour la journée entière.
Nous attendons beaucoup dans une vie.
Attentes diverses qui vont de la joie à la douleur. Attente du moment propice pour écrire. Retardement.
Attente du train qui vous ramène ou vous emporte.

Quel verbe!

Et il y a la marche en plaine.
Pourtant ici tout monte et redescend.
Envie d'aller du côté de la forêt d'Envy, justement.
Envie de ce temps frais qu'aimait Gustave Roud.
Tristesse vague de n'être pas allée jusqu'à Ballaigues chercher la tombe de Louis sous la terre.
Hier au téléphone: on vous attend, on attend que vous écriviez sur ce territoire de la folie suisse.
Mais silence.
Je brode à la place des mots: POLOGNE-LAPSUS-BRETON.
Comprend qui peut.






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