mercredi 4 septembre 2013

Un oisif, des oiseaux

N'oublie pas ton capet, m'a dit ce matin Bosseigne en me voyant quitter la maison.
La veille il n'avait pas demandé ce qu'était l'esparcette.
Je me suis bien gardé d'ouvrir mon clapet, ai rabattu mon caquet comme on dit, pour venir à bout de ce capet que je ne devais pas oublier.
Capet, capétien? Mon Bosseigne sonnerait-il royaliste nostalgique?
Comme la Suisse se rapprochait, j'en ai déduit que le mot avait peut-être valeur helvétique.
Les deux pieds dans une flache, le voisin ayant oublié d'arrêter l'arrosage de ses rosiers, je suis restée plantée devant le portillon grinçant du jardin.
C'est là que Bosseigne m'a trouvée, méditant sur la langue.

Tiens, la filoche, tu l'avais aussi oubliée! a-t-il dit en riant. Et mon parent m'a tendu un filet à provision.
Tu vas pouvoir y fourrer toute l'esparcette que tu trouveras sur les talus. Il y en aura, c'est sûr...

Mon parent a de ces éclairs, de ces éclats qui me laissent sans voix. Ainsi dans mon dos, il avait cherché de quoi alimenter son réservoir de mots pour me prouver une fois de plus sa rapidité et son efficacité à manier les mots même les plus idiomatiques. J'allais en Suisse. Il ne l'avait pas oublié.

Je me suis bien amusé à pointer tout ce vocabulaire suisse qui se glisse ici et là chez les auteurs helvètes, que ce soit Ramuz ou le suisse Bouvier, a-t-il poursuivi. Et tout ce sainfouin à fourrer dans le raccard!

Je n'ai rien dit.
Le triomphe de Bosseigne s'alimente de mes tentatives de défendre ce que parfois je considère comme un pré carré. A tort. D'ailleurs qui dit pré, dit esparcette.

J'aurais voulu lui rappeler que ce Bouvier dont il parlait avec légèreté, insistant sottement sur son identité suisse, avait mille fois plus de connaissance que lui et moi sur la langue. Je me suis tu. Avec à l'intérieur une petite jubilation. Celle qui vient du secret, de l'amoureux, de l'intime. Et puis je devais aller faire quelques courses. Nous n'avions plus de café.

Au retour, je suis allée dans le nouveau bureau de Bosseigne.
Oui, a-t-il dit.
"...longtemps j'ai cru que oisif était le singulier d'oiseaux."
Toi?
Non.
Sans ajouter un mot de plus, je suis ressortie, laissant mon parent à la merci du démon.

Peut-être un jour lui dirais-je qui a écrit cette phrase. Et il comprendra.
Peut-être.
Et il envisagera différemment sa parente et son futur fauteuil.
Qui sait?


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