samedi 21 septembre 2013

Entre petites Alices, jamais ne choisirai

Matin froid. Nous hésitons à prendre le café matinal sur la terrasse.
Un reste de vent s'attarde, effilochant de petits nuages.
Hier soir, j'ai vu naître la lune au-dessus de la colline, s'extraire doucement de la nuit, monter en compagnie des étoiles et des avions vers le point le plus haut.
Un gros enfant à la tête énorme!
Je n'en ai rien dit à mon parent, absorbé dans son agenda de rentrée. Sa thèse le prend de plus en plus. Et il n'a toujours pas son fauteuil.


Ce matin, aperçu le soleil. Mais la fraîcheur m'a dissuadée de le rejoindre.
Alors nous avons disposé les tasses et la cafetière dans la salle à manger.
Premier matin d'hiver, a plaisanté Bosseigne.
Tout peut changer encore, ai-je répondu.
Comme le café. C'est du colombien, a dit mon parent.
Le Mexique s'éloigne. Pourtant.

Comme le froid paralyse les langues, me suis-je dit en me servant du café. Nous n'avions pas envie de parler. Nous étions en proie à l'inquiétante survenue de l'hiver.
Un peu tôt, non? a questionné Bosseigne.
Tu lis dans mes pensées?
Depuis le temps, je crois que je sais ce que tu penses le matin. Ce matin.
Il fait déjà froid. C'est ça?
Et d'autres choses, plus petites encore. Et d'autres, plus grandes comme écrire un poème mexicain sur une usine de cellulose.
Je reprendrai du café mexicain. Fidélité à la petite Alice-Karla. Mais ça, je n'en ai rien dit à Bosseigne. Plutôt:
Comment tu trouves ce café colombien?
Voila l'explication. Je suis un peu déçu. Je préfère Roberto Bolano.
Chilien?
Tu vois ce que je veux dire, détective sauvage.

Usine à papier

La fumarola de la fabrica
asciende
poco a poco
en
maldoriana persecucion
de humo tras las nubes.

Las alcanza y mancha.
Un aroma de papel cocido
satura todo Tarascon
y las nubes ensuciadas huyen
como mofetas en fuga.


Oui, je voyais. Que j'étais de moins en moins détective de moins en moins sauvage. Mais il y avait le matin Karla Olvera et ses foutus poèmes mexicains et Alice au pays des merveilles, et là.

Là?
Que t'est-il arrivé depuis hier si ce n'est la nuit. Et elle passe sur nous ses nerfs de velours et.
Nous continuons le lendemain à croire que vivre se fait le jour?
Tu as lu mes lettres, ai-je enfin demandé.
Non, pas eu ni le temps ni.
Bien. Brûle-les alors.
Dépit?
Non, sentiment de l'inutilité de la lettre qui informe. Et puis je suis revenue.
Si tu n'étais pas revenue, j'aurais dû les lire mais dans un autre état que celui dans lequel je les lirai bientôt.
Tu ne vas pas les brûler?
Il ne fait pas assez froid. Je lis Lichtenberg. Il rêve d'un feu de livres, bien avant qu'un détective créé par un écrivain espagnol l'imagine.
Et?
Rien. Comme toi, je mélange tout. Par exemple ta logique épuisante mais qui m'amuse me renvoie à la logique des fous dans Alice au pays des merveilles, ouvert hier soir parce que je recherchais ce passage où un chat devient un sourire dans un arbre.
Petites alices, oui.

Qui grandissent. Qui rapetissent. Ne pas oublier que j'ai perdu trois centimètres. Où sont-ils maintenant, ces centimètres perdus? Où est le champignon qui me redonnera ma taille? Je dresse un inventaire un peu vain. Celui des petites alices.
Karla: petite alice. Claire K.:petite alice. Edith Azam: petite alice. Etc. Il y en a d'autres.
Qu'ont-elles en commun?
Toutes sont vivantes.

Tu as téléphoné pour le fauteuil?
Non. Je n'y crois plus. Si jamais.
Oui? Il revenait ici? On dirait qu'il a sa vie propre.
Il l'a. Du moins en s'éloignant, il en a acquis une; sauf que.
C'est nous qui l'avons éloigné, je sais et le regrette si souvent que.
Rien à regretter. Tu verras qu'il reviendra au moment où nous ne l'attendrons pas.

Voilà bien Bosseigne et son indéfectible optimisme de chercheur.
Pour ma part, nez dans le café, à bougonner.
Ecrire, téléphoner, réveiller le fauteuil.
Suivre le vent.
Avoir des nouvelles.

Où tu vas?
Marcher.
Un peu.
Plus loin.
Et c'est bien.









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