jeudi 25 juillet 2013

Vous croyez qu'il pleut?

La chaleur est devenue ce qu'elle peut être parfois, en été. Insupportable.
Dit Bosseigne.
Du coup, poursuit-il, elle provoque des réactions amusantes et irritantes. Comme la pollution.
Amusante?
Non, irritante. Je voulais te raconter quelque chose de drôle pour finir la journée. La rafraîchir.


Toujours travailler à.
Non, s'exercer, s'amuser.
Quand tu lis Pontormo ou Bouvier, tu les vois à l'oeuvre. Notant l'essentiel comme le détail. Parce que.
On ne sait pas ce qu'on en fera et que ça-peut-servir.
Ma mère avait toujours cet argument. Et la langue c'est pareil. On utilise des expressions parce que dans la conversation ça-peut-servir à.
A quoi on n'en sait. Rien.
Ensuite on espère que les disparates se réunissent, que les expressions convenues génèrent une langue entre les personnes, un contact réel, une manière de poser gentiment la main sur l'épaule du voisin, de faire écho.
Au lieu de ça, on se fait écraser les doigts de pieds.
Oui. Irritant mais là, amusant. Si tu m'écoutes un peu, dit Bosseigne, tu auras l'histoire.

Le jardin est blanc de lune. Sur les pêchers les arbres ressemblent à des boules de noël noires. Je repense au garçon dans le jardin arménien à voler les kakis de son père. Après le repas, j'ai traversé la route et moi aussi. Chapardage dans le noir avec le chien noir. Deux fantômes qui se glissent à l'aveugle entre les feuilles et les fruits. Sans compter les odeurs et le chat. Oui?

Eh bien, j'étais au théâtre.
Quand, tu es toujours avec moi.
Une fois, sans toi et il n'y a pas longtemps.

Bosseigne, je le crois au travail dans son bureau certains soirs. Et tandis que je me crois avec lui dans la maison héritée de nos parents, il s'en va sans que je le sache ni ne le soupçonne. C'est son droit, me dis-je en le regardant dans l'obscurité. Et le mien, de me mettre au lit de bonne heure avec un livre.


Au théâtre, on écoutait une pièce de Nathalie Sarraute. La dame à côté de moi m'a demandé à l'oreille: vous croyez qu'il pleut?
Dans le texte?
C'est ce que j'ai cru qu'elle imaginait, que la pluie allait tomber sur la scène, un effet théâtral. Dehors, a-t-elle poursuivi, croyez-vous qu'il pleut?
Il faisait chaud?
Oui, dedans et dehors! Bosseigne a éclaté de rire.
Je te retrouve, ai-je commenté sotto voce.
Comment? Mon parent a poursuivi. Oui, la dame devait avoir très chaud et son besoin de l'exprimer devait être impérieux au point.
Dans un texte de Nathalie Sarraute, c'est parfait. Pour un oui.
Pour un non. Les gens parlent. Sans trève. Le silence durassien, ils l'évitent. Un intervalle entre chaque note tenu. Etiré comme des lèvres cousues de fil blanc.
Petite on a collé sur ma bouche un sparadrap: tais-toi.
Ta mère, ma parente?
Non, une religieuse. A l'école. Le Verbe est trop sacré pour être galvaudé.
Mais cette religieuse aurait dû savoir qu'on n'apprend jamais rien.
Elle citait volontiers Sainte Ursule: que de larmes versées sur les désirs réalisés. Il valait mieux se taire et se résigner. Et me convoquait pour le paiement du trimestre que ma mère avait oublié de payer. Parce qu'elle n'avait plus. D'argent.

Pourtant cette maison, mais Bosseigne ne le dit pas. Notre héritage. Le nom d'une famille disparue. Et cette maison, n'est pas à nous. Belle et blanche de nuit comme de jour. Mais ne nous appartient pas, ni son puits, ni le verger qui la jouxte. A la mort de mon père, à la mort de ma mère. Un fauteuil, doit penser Bosseigne. Notre seul héritage. Et ce nom en fuite sur les papiers et les testaments. Un nom enfui, est-ce que ça se porte?



Inutile de poser la question.
Il est tard. Il fait encore chaud.

Où ce soir trouver un peu de secours?
La pluie de Bosseigne nous aura.
Rafraichis, conclut mon parent.
Sotto voce.

Et cet éclair de Fabrice Caravaca.

"C'est dans l'écho qu'il nous faut être."

Je ne sais pas si l'injonction m'aidera.
Mais je vais essayer d'être l'écho de la pluie sur le drap,
de la main sur la feuille,
du fruit dans la nuit.









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