mardi 23 juillet 2013

"Et moi qui perds la tête..." Pierre Reverdy

L'ombre du figuier est dangereuse, une femme l'a dit, qui mangeait près de moi, une salade.
Vraiment?
Les fruits surtout, non mûrs, blessent les mains, les brûlent. La sève blanche et collante.
Jamais je.
Moi non plus mais.
Des mains?
Des mains d'enfants qui jouent à se bombarder avec les fruits et se brûlent au troisième degré.
C'est comme la conversation, a repris Bosseigne, pensif.
Tu ne continues pas tes phrases, lui ai-je fait remarquer.
C'est la conversation, murmure mon parent. Je voudrais sincérité et ne dis.
Rien.

La lune était pleine. Chaleur. Je me demandais comment survivre à un pareil étouffement. Et puis là haut la grâce du désert. Je chantais parmi les pierres le début de ma chanson. Elle s'appelle Causse.


Là haut?

Comme si la discrétion dans la conversation avait une valeur positive, alors que ce n'est qu'une manière d'éviter le conflit.
La tienne?
Quelqu'un, tu ne le connais pas, dans une logorrhée, une manière étrange de parler, on me dit qu'il a été autiste, et maintenant, je le comprends mieux.
Une phrase qui dirait: je me comprends dans le paysage.
Comme ce qui m'arrive - parfois- un flot.
Ou je suis compris dans le paysage. Tout compris.
Un flux.
Rester pauvre ou passer pour.
Un fou. Un sot.
Une hypocrite. Une idiote.
Reste le mystère du figuier.

Nous avons ri parce que la tête de la lune large et pâle se montrait. La lumière inondait le jardin noir. C'était réconfortant. Oui, ensemble, là. Toute une nuit pâle à converser.

Et le silence.
Pierre sur pierre.
Là haut, sur le Causse. L'appel du Causse. Tu connais ce livre?
Non. Je connais le désert. Pas le livre. Qui?
William S. Merwyn, un nom de fée, un nom de conte.
Pas comme le nôtre.
Nom en fuite comme notre famille. Englouti dans une vallée. En Ligurie.
Même pas porté par un village inondé comme celui du poète C.
Un nom perdu dont on retrouve parfois les premières lettres sur une pancarte de commerçant.
Et ce nom devient autre, celui d'un étranger.
Comme le nôtre.

Il y a aussi épars des bouts de monde, de femmes et d'hommes. Par exemple ces yeux bleus d'une femme slovaque ou ce bijou turquoise sur une poitrine ou les fleurs d'une robe ou l'eau autour des pieds nus ou la pierre qui sourit.
On ne peut pas s'empêcher de les voir.
La beauté. Ma mère en mourant demandant: donne-moi de la beauté. Pas l'extrême onction, non.
Et ce poète mort expliquant que ce que nous ne savons pas voir et que voient certains, nous le nommons irrationnel, tu te souviens?
De son nom? Non. Mais de cette beauté du désert, oui.
Autant le dire tout de suite, Bosseigne, je suis malade de trop voir parfois. De me laisser aller à une exaltation de mauvais aloi. De mauvaise compagnie. Alors nous seuls.
Encore le poète G.?
Pas seulement. L'insecte ou l'ange, disait Reverdy à propos de Modigliani. Exactement nommé.

La santé de Pontormo, la nôtre.
Le soir dure.
Nuit s'éternise.
Plus haut que nous, le Larzac refleurit. Les corneilles accueillent le chant. Leur pauvreté d'oiseaux peu aimés convient à cette terre-ciel. Mais de ça je ne dis rien à Bosseigne qui fume un cigare en regardant aux yeux la lune.
Nous seuls.

"Et moi qui perds la tête."





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