jeudi 18 juillet 2013

Diario di Pontormo/journal de Pontormo

Noter son repas, ses jeûnes, ses travaux, voilà ce qu'écrit Pontormo.
Le peintre?
Oui, chaque jour ou presque, ce sont les dernières années de sa vie. Sa santé le préoccupe. Son ventre.
Seulement? Tu trouves intéressant de lire ce genre de choses?
C'est plus qu'intéressant. C'est un artiste au travail avec le corps en déroute et le désir de l'oeuvre en route.
Tu fais dans le discours poétique?
Non. C'est exactement ce qui est en jeu, que les mots que j'emploie ce matin s'essaient à préciser. La rime ou plus exactement le rythme. On est parfois trop lâche.
Dans quel sens?
On lâche la langue, on la laisse se relâcher dans la bouche, on a peur d'elle, de soi aussi, alors on parle normal.

Et puis, mais je n'en parlerai pas à Bosseigne ce matin, il y a l'anxiété. Celle de Pontormo, la mienne, la nôtre. Et ces conversations entendues au vol sur la folie et les médicaments. Ou encore sur le rôle du miroir dans l'oeuvre de Untel. Je ne dirai rien. Je ne parlerai que de Pontormo. Surtout pas de Camille Claudel dont l'oeuvre.

Oui?
Ici il y a tout ce que nous ne disons jamais.
Heureusement que nous nous taisons parfois, s'exclame mon parent.
C'est certain. Il va se mettre à rire. Encore. Une fois.
Ce que nous savons et n'osons dire.

Bosseigne soupire. Le matin est mouillé. C'est doux et léger. Nous sommes en vie, Bosseigne, et c'est si simple. Mais Pontormo se passe la main sur le ventre. Il souffre. Ce qui importe, c'est de terminer le travail. Tu comprends, Bosseigne, et il émaille son diario de dessins pour se prouver qu'il continue à exister puisqu'il fait le travail.

Il y a aussi une de ses lettres.
A lui-même?
Non, à un prince. Il lui explique plusieurs choses et lui fait compliment d'aimer les artistes. Evoque un débat sur la peinture et la sculpture.
J'ai une amie qui pense que la sculpture n'est pas un art. Seulement une forme dérivée de l'architecture.
C'était déjà le débat au XVI° siècle mais Pontormo qui est peintre évoque Michel-Ange et ne peut s'empêcher de lui reconnaître du génie puisqu'il est à la fois peintre et sculpteur et que sa peinture.
Mon amie n'aime pas ce qui se dresse, ce qui s'érige, elle y voit la trace du masculin violent qu'elle déteste, rétorque Bosseigne.
La peinture est l'art par excellence pour Pontormo mais le féminin.
L'oeuvre de Michel-Ange est une oeuvre masculine, et sa peinture est celle d'un sculpteur.
Revenons à Pontormo.
Et à ses heures de pipi et de caca?
L'artiste est aussi cette personne mal attifée qui écrit un poème sublime.

Là, seul le jardin.
Nous le regardons.
Il est mouillé de la pluie nocturne.
Mes pieds tout à l'heure dans l'herbe, trempés.
Punto d'erba, ai-je écrit dans mon carnet.

En italien, le point de tige utilisé en broderie se dit point d'herbe.
Pontormo dessine de petits croquis, presque brodés au crayon, dans son journal, entre les lignes.
Il dit figura ch'é sotto  le bras que j'ai dessiné pour la fresque de San Lorenzo.
Ou la tête, ou un corps appuyé sur un bras.
Ce sont de très petits dessins.
Je n'en dis rien à Bosseigne trop occupé aux grandes choses aujourd'hui. Par exemple démolir la sculpture. En se servant d'une amie féministe. Peut-être. 
Je n'aime pas les femmes qui montrent leurs seins.
Ils sont beaux. C'est pour ça qu'elles les montrent.
Ces femmes sont jeunes et arrogantes.
Elles ne pensent jamais aux femmes mutilées.
A celles qui ne veulent ni ne peuvent.

Bosseigne dirait: tu es injuste. Oui.
Et surtout inconséquente. Oui.
Ce Pontormo. Oui.

C'est pour ça que ce matin Pontormo.
Non cenai.
Je n'ai pas mangé. A la date du dimanche 28 avril.
Quelquefois il est gourmand. Donne les noms des fruits.
Des vins qu'il partage avec ses amis ou met en bouteille.
Il donne même les mesures de pain et de vin.
Souvent en compagnie du Bronzino, un autre peintre.
Et toujours le travail de la peinture.

Mercoledi il braccio.
15, giovedi.
Venerdi, il corpo.
Sabato le cosce.


Et petits points d'herbe, ses dessins.
Comme oiseaux, comme traits fins.
Pour ne pas oublier ce qui s'est fait.
Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche.
Suite sans repos.
Au bout. 
La fenêtre ouverte. L'oiseau.









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