Carnet bleu-suisse
il y a une hirondelle
une corneille
et une mouette
mais
il y a aussi l’oiseau
de Genève
noir
que m’a vendu
une africaine
et le petit cheval
du Soudan
et ses deux
cavaliers
sans oublier l’étrange
animal
qui se gratte la
tête
mi-oiseau mi-ourson
et le nom BERDOZ
que je peux lire
partout
en face les eaux
du lac
on dit le lac
il tient tout
entier
dans l’œil
à chaque voyage en
Suisse
les filets
ramènent des noms
perdus
une grand-mère
inconnue
l’a porté jusqu’à
la mer
ce nom écrit
partout
est-ce que ça
explique
mon goût pour la
lettre Z
accomplissant je
ne sais quel vœu maternel
me souvenant de
cette femme
il y a quelques
jours nous disant
je me baigne été
comme hiver
puisque je vis en
bord de mer
allant vers les
forêts
comme elle vers
la mer
le lac
plus loin les
montagnes
et la marche en plaine
de Gustave Roud
son Jorat
pas étonnant que
j’aie acheté
le Repos du
Cavalier
aux puces de Plainpalais
la petite avait
répété
je veux être un
cavalier
petite aimait à
la folie
les oiseaux
sans bien les
connaître
à part la huppe
et l’hirondelle
il suffit d’un
carnet
et le poème s’aligne
presque gentiment
ligne
après
ligne
sans heurt
sans chagrin
facilement
on dirait
carnet de papier
quadrillé de bleu
cadran ligné
carnet de misère
oui
bloc-notes à la
couverture bleue
répondent les
carrés
et les lignes
bleues
à suivre ou pas
pour écrire quoi ?
on se demande
et si ça s’arrêtait
là
si sa propre vie
l’encre n’en finit
pas
comme on ne sait
pas
on continue à
tourner les pages
à regarder le lac
avoir mal aux yeux
mais on continue
à
l’encre noire
le carnet est
taché
en haut en bas
la tache diminue
au fil des pages
tournées
viendra un temps
où il n’y aura
plus
ni taches ni
lignes
les pages vides
bien propres
à quoi sert un
carnet
vendu trois sous
cinq
euros taché sali
malmené écorné
le marchand
savait
mon goût des
carnets
même tachés et salis
il y aurait des
acheteurs
pour ces carnets
et cahiers
du canton de Vaud
aurai-je assez
entendu ma mère
rêver à voix haute
de suisse
pour elle trésor
caché
dedans
à retrouver ?
comme ce carnet
modeste et taché
carnet où noter
les courses à
faire
mesures à prendre
rien à noter pour
la postérité
et un matin
canal d’Entre-Roches
aller et retour
en compagnie
bien des lieux
vus
et entrevus à
peine
cimetière à
Yverdon
et d’autres
regardés
le bleu de la benne
dans la Grande
Cariçaie
et
les chalets de
Portalban
près de la Méditerranée
la troisième conversion
des eaux du Jura
n’a rien de
religieux
lacs de Morat de
Neuchâtel
et de Bienne des hommes
ont vécu à leurs
bords
parlant peu
faisant travail
de chaque journée
comment de ces trois
lacs
faire une mer ?
à la question
Jean a répondu marchant
de
l’un aux autres en
novembre
le plus étrange
reste ce nom écrit partout
sur les enseignes
et les pharmacies optiques
le nom de ma
petite grand-mère la suisse
en attente de
bleu le jardin est immobile
au loin Jean
travaille à écrire 10 000 signes
crânes morts
entassés
dans la caillasse
creusée
rebuse
recommençant
noire épine qui
blesse
que faire de ça
qui revient
la mort
pas de place dans
le carnet
acheté 5 euros à
Plainpalais
pas de place pour
le mot
écrit juste avant
la fin
carnet recopié
sur la table
de voyage où il
est de passage
comme moi carnet de
raison
pour poète loin
de sa maison
les deux vont
bien ensemble
restent dans le
carnet
des pages vides
et
des lignes bleues
pour écrire des
noms
à ne pas perdre
de vue
d’un bord à l’autre
à convertir en mers
en lacs en
rivières
en petit livre
suisse
SD avril-mai 2019
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