lundi 19 octobre 2015

quelque chose comme/arrive/s'aperçoit




Mon parent me lit le journal de Jules Renard.
Il fait froid. Nous sommes à la table du matin.
Lui est en forme. Comme souvent. Il a fait du yoga après s'être levé. Moi non.
Quelque chose arrive. Ou pas. Je suis remplie du silence de la nuit.
De certaines colères rêvées. Lui, en pleine journée déjà.
Il lit:

"La pluie sur l'eau. Du silence sur du silence."

Ou quelque chose comme. Je retiens cette phrase. Elle me conduira dans l'automne, me dis-je, tandis que je mange mes tartines sans beurre. Je songe à une autre phrase, entendue au vol à la radio: le consensus est la mort de la démocratie. Est-ce mon envie de dispute qui se fait jour après les colères de la nuit? J'écris mentalement une phrase: le consensus est la mort de la poésie. Mais comme la pluie sur l'eau, silence.
Bosseigne est joyeux d'avoir trouvé aux Puces le Journal de Jules Renard pour deux euros. 
Depuis le temps, dit-il, que je le voulais et me refusais à l'acheter je ne sais pour quelle raison.
Notre famille, ai-je poursuivi, aimait renoncer. Tu suis la tradition, voilà tout.
Peut-être, et Bosseigne éclate de rire.
Je vais te lire quelque chose à propos du dernier voyage que nous avons fait ensemble, dit-il encore.

dans le noir d'une ville
un lieu que tu ne connais pas
je dis: clinique de la folie
et nous cherchons à voir clair dans le noir
tu conduis je te guide en aveugle

et
survolés par une ombre claire
tu ralentis je tremble nous sommes
sur une route rapide
et toi
nez au ciel noir
tu cherches à voir le vol clair
d'une chouette effraie
saisir l'à peine visible
de ce qui nous frôle
tu dis

c'est rare une telle envolée
par dessus les autos
dans le noir

et
moi à trembler bêtement
sous le miraculeux envol
dans le noir
je dis

clinique de la sagesse
c'est tout près
de la maison
où nous allons

Ainsi tu t'es souvenu de ce minuscule événement. J'en suis surprise mais heureuse. Ne le dis pas. Souris seulement. Mes colères nocturnes s'éloignent. Je revois le beau visage blanc de l'effraie penché en vol vers nous et la route noire. Reconnaissante que ce petit souvenir résiste à notre oubli commun. Et donne lieu à un poème écrit par Bosseigne. De textile à texte, d'effroi à effraie, une façon de réconcilier la nuit avec le jour. 

La journée peut donc commencer.







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