jeudi 22 octobre 2015

En cheminant avec Gustave Roud, une lettre de Jean Prod'hom à Pierre B. .www.lesmarges.net

Jean Prod'hom est un écrivain suisse, vivant en pays de Vaud, plus exactement dans le Jorat cher à Gustave Roud, et il tient depuis plusieurs années un blog (mot qu'il orthographie blogue), dont le titre "Marges" renvoie à une écriture des fragments, celle qu'on retrouve dans son livre "Tessons", éloge de tous ces bris et morceaux de vaisselle et carreaux qu'il a amassés au long de trente ans de voyage, et aussi dans le titre du dernier ouvrage, publié aux éditions Antipodes (avec une postface de François Bon) et dont le titre "Marges" explicite la relation qu'entretient Jean Prod'hom avec la littérature et la marche. Quasiment tous les jours, il écrit une lettre à Pierre (Bergougnioux) et nous suivons le fil des jours, à la fois dans le menu quotidien familier et familial, mais aussi dans le paysage (Jean est un grand marcheur) et dans son rapport à la lecture, celle de Robert Walser entre autres. Pour moi, marcheuse immobile d'une Suisse rêvée, lire les lettres de Jean est une nourriture quotidienne nécessaire. Les noms de lieux traversés que je connais pour y être allée mais aussi pour les avoir lus chez Roud par exemple, enchantent une géographie réelle qui se charge ainsi de poésie et d'humanité.

dessin SD
Cher Pierre,
L’ensemble des opérations que nous menons à bien, chaque jour, pour assurer les conditions d'existence de notre espèce constitue dans le même temps le couvercle qui pèse sur nos vies et nos aspirations ; c’est lui qui nous coupe de tout ce à quoi ces opérations auraient dû nous donner accès, au ciel.
Nous devons prendre garde à ce que celui-ci et sa profondeur, lorsque nous serons mis en vacances, ne nous pèsent pas de les avoir trop longtemps écartés ; il convient, avant qu’il ne soit trop tard, de réinjecter de la profondeur dans le miroir de l’ordinaire dont nous avons, par précaution, négligé le vif et les secrets.
Les chevreuils que je croise ce matin dans le pâturage de la Mussilly rappellent une autre équation ; car s'ils exécutent servilement, comme nous, un programme qui les précède, les habitants des bois le font sans jamais perdre de vue le ciel étoilé.
Je rencontre Daniel un peu plus loin, dans le bois, qui discute le coup avec un paysan de Ropraz, il fait campagne ; il s’est en effet porté candidat au Conseil national ; je refuse le verre qu’ils me tendent, me hâte. Glisse au four des pommes de terre et lancent des délices dans une poêle ; j’informe les filles qui, sitôt arrivées, manifestent leur inquiétude : l’opération de leur grand-maman s’est bien passée. 
La Maison de l’Ecriture à Montricher, je la vois tous les jours depuis la classe des grands, je m’y rends cette après-midi. A l’extérieur les travaux sont loin d’être terminés, mais l’espace qui accueille l’exposition consacrée à Gustave Roud l’est, il ressemble à notre cuisine toute neuve, en plus grand, et des matériaux plus nobles. Daniel Maggetti résume les principes de l’écriture de Roud :


Consignation, en plein air, des impressions dans un carnet ou sur des bouts de papier
Recopie soignée des griffonnages dans des cahiers
Repêchage des notes au moment de la composition d’un texte
Recyclage et réagencement des fragments dans de nouvelles publications

Quant à la bibliothèque, elle contient des milliers de livres, tout neufs. J’en prends un au hasard et m’affale dans un fauteuil de cuir, lis pendant une demi-heure. Je rentre par Pampigny, Cossonay, Morrens et l’abbaye de Montheron. Sandra est allée manger avec des collègues, les filles n’ont pas faim, Arthur est à l’assemblée générale de la jeunesse de Ropraz. Me voici célibataire et orphelin.


- See more at: http://www.lesmarges.net/files/af70912ab18442e4c095cae595469e1a-3431.html#sthash.nvaLXrjc.dpuf

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire