jeudi 2 janvier 2014

L'aloi et le trébuchet, commença Bosseigne...

Ce sont de vieux mots pour apprécier l'or.
L'or des mots, ai-je plaisanté.
Bon et mauvais or, à distinguer comme le bon grain de l'ivraie, a ajouté mon parent, qui ne montrait aucun agacement devant mon bavardage.

Nous avions mis le blé à germer et fêté le bout d'an, comme on le nomme, cette date de fin du monde, tous les deux avec quelques amis. Mangé et bu, comme le font les humains à cette période. Inutile, avait commenté Bosseigne, de vouloir se distinguer. Mangeons et buvons en compagnie et voilà la vieille année qui se fera an neuf.


C'est de bon aloi.
Même si nous dépensons notre argent en futiles plaisirs de bouche.
Monnaies sonnantes et trébuchantes sacrifiées sur l'autel des vanités.
Notre maison sera une nuit durant un hôtel, a jouté mon parent, ne tenant aucun compte de mes objections.

Evitons de penser fauteuil, me suis-je dit. Que ce sujet soit absent de notre fin du monde.
Mais lorsqu'on fait une fête, même petite et modeste comme celle que nous avions prévu d'organiser dans la maison héritée de ma mère, se pose la question des sièges, chaises et fauteuils où asseoir une assemblée qui ne se réduit plus à deux personnes, mais à plusieurs. En l'occurrence sept. Un repas suppose des chaises, et ensuite la soirée se prolongeant, les fauteuils sont une bonne manière de s'asseoir. C'est vrai dans toutes les maisons. Dans la pièce appelée communément salon, on trouve souvent un canapé et ses fauteuils. D'autant plus s'il y a une cheminée comme chez nous, me suis-je dit.

Pour échapper à la question du fauteuil, j'ai apporté deux bancs de bois que nous utilisons au jardin l'été et les ai garnis de coussins pour les faire plus confortables. Bien. Restait cependant, dans un coin de la pièce, un peu à l'écart, mon vieux fauteuil Empire, défoncé et inconfortable. Il m'arrive de le prêter à mon parent, mais il ne peut (et ne doit) remplacer le seul et unique fauteuil, celui que ma mère etc. Le fauteuil dit de Bosseigne, est pour l'heure toujours perdu en Cévennes, et il m'arrive de l'imaginer tel Holderlin sur la route qui le ramène de Bordeaux, pris dans une terrible tempête de neige, là haut, sur le plateau ardéchois.

Le trébuchet est une balance de précision, avait dit mon parent, revenu des courses, chargé comme un roi mage.
Et le renard, avais-je répliqué, n'a pas de poids lorsqu'il avance sur la neige.
C'est ainsi que les chasseurs peuvent l'apercevoir, revenant d'une virée dans les villages.
Et ils le tuent.
Oui, mais nous, nous allons manger et boire en son honneur et passer une frontière sans quitter nos fauteuils. Et si tu veux regarder ce renard, rien en t'en empêche. Nous possédons une bonne bibliothèque et l'oeuvre de Degas dont tu parles doit s'y trouver. Un bon fauteuil et un livre, c'est un embarquement joyeux, non?


Le mot est dit. Il est là. Entre nous, à côté, devant nos yeux. Alors j'ai inventé une solution. Il fallait bien. Pour traverser le pont, il vaut mieux avancer de front. Plusieurs manières de chasser les mots importuns et les choses qu'ils désignent, ai-je encore pensé. Et puis mon parent sait parfois mieux que moi ce qu'il convient de voir ou de ne pas voir. Renard mort dans un sous-bois.



Pour une soirée, il faut donc une table et des chaises.
Quelques sièges près de la cheminée.
Sur le seul et unique fauteuil de la pièce, disposer quelques fruits séchés de l'automne.
Et le tour est joué.
Personne n'osera s'asseoir sur des grenades.
Prêtes, comme moi, ai-je pensé, à exploser.

Ainsi les ponts se traversent.
A deux ou à sept.
En ayant pris quelques précautions.
En guise de protection. Nécessaire pour Bosseigne.
Et pour moi, me suis-je encore dit, pour justifier l'étonnante présence des fruits sur l'unique fauteuil de la pièce.

Et les grenades sont restées sagement à leur place.
Le lendemain, j'avais pris la décision de faire rénover mon fauteuil à mon tour. Mais pas par la Tapissière, non. Dans notre quartier, oui.
Sans hésitation chez un artisan de bon aloi.
Et voilà.






1 commentaire:

  1. Bel écho alluvionnaire, Sylvie. J'aime les grenades sur le fauteuil Empire fatigué, grenades dont la couleur n'est pas sans évoquer celle du renard. D'ailleurs le renard, tout bien considéré, est presque tout entier dans la grenade. Il s'en faut d'un air à la place du jet. Dégoupillons la grenade des mots en or, dégoupilons le renard des morts.

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