mercredi 8 janvier 2014

Le pardessus de Bosseigne

Mon parent se déplace de mieux en mieux, me suis-je dit en le voyant refermer le portillon grinçant du jardin. Depuis quelques jours, Bosseigne, sans doute grâce au temps assez clément pour la saison, avait entrepris de se rendre jusqu'au centre commercial pour y prendre un café dans le bistrot du quartier. Il partait après le repas et à son rythme rejoignait le centre ville. Sa démarche claudicante ne lui permettait pas de marcher très vite et à cause de cela, il refusait que je l'accompagne. Du moins était-ce le prétexte qu'il avait à m'opposer.

Je l'acceptais d'autant mieux que je venais de retrouver toute une caisse de vieux livres ayant appartenu à ma mère.

Romans policiers, presque tous.
Sans doute à cause de l'énigme que représentait à ses yeux notre famille, ma mère avait affectionné ce genre de livres. Série noire pour la plupart et aussi livres à la couverture jaune fané du Masque. A la fin desquels tombait le couperet de la révélation.
La vérité triomphait toujours. Souvent au prix de quelques morts.
Il y avait aussi  un gros livre très épais ( je ne me souvenais pas l'avoir vu dans sa bibliothèque où trônait Ambre, énorme roman sur la couverture duquel figurait un portrait de l'héroïne), dédicacé à ma mère par la personne qui le lui avait offert.

1948.
Ni Bosseigne, ni moi n'existons à cette date.



Il était question que ce livre apaise un peu le malheur dans lequel vivait ma mère.
L'après-guerre. Mon père revenu du Liban. Ma mère malheureuse. Amoureuse d'un autre.
Tout est possible puisque je ne suis pas encore née ni Bosseigne. Le titre a dû plaire à ma mère. A Marseille on aime le vent. Il fait claquer les voiles dans le port.

Le livre raconte une histoire de guerre et de passion. Un film en a été tiré. Gone with the wind. Ce n'est pas un roman de Faulkner et sans doute son auteur était plus célèbre que lui, en leur temps. Même lieu, le sud des Etats-Unis. 

Pour consoler ma mère (de quelle souffrance?), quelqu'un (la signature est naturellement illisible) a acheté l'énorme roman, le lui a offert sans oublier de tracer au crayon une dédicace A S... Pour supporter l'épreuve actuelle.

Tu as chaud, demande Bosseigne.
Pourquoi?
Tu as les joues très rouges.
C'est à cause de la température.
C'est vrai, d'ailleurs j'ai enlevé mon pardessus sur l'avenue.
J'ai lu une chose sur ça, une femme qui ne portait pas de robe par-dessus ses dessous.
Explique-toi un peu. On ne comprend rien à.
Tu es tout seul.
A ne pas te comprendre? Pas sûr.
Une femme morte, vieille dame. A sa mort, on a découvert qu'elle vivait dans son manteau.
Par-dessus ses vêtements?
Oui, en quelque sorte. Comme Bascoulard. Des gens démunis de ce qui fait l'ordinaire des autres gens.
Qui est-ce, un homme en trois mots?
Sa mère s'appelait Mulet, un seul mot. Son père en avait trois dans son nom. Sa mère ne l'a pas supporté. Elle l'a tué d'un coup de pistolet.
C'est un roman policier?
Non, à Bourges, une vraie mort. Ensuite le fils portait une robe et pas de pardessus pour peindre et dessiner dans les rues. Bascoulard dessinait même des robes et en portait aussi et se faisait photographier habillé en femme. 
Il fait froid à Bourges.
Oui, il gèle. Bascoulard est mort assassiné.
Toujours un roman policier?
Non. Il y a des documents. Une association. Une place qui.
Porte son nom?
Oui. C'est un artiste maintenant reconnu. Mort assassiné. Sans pardessus.

Mon parent est de mauvaise humeur, à moins que ce ne soit moi. Je suis irritable. Ou bien c'est lui. Ce temps inutile, ni froid, ni chaud, ni soleil, ni pluie, ni vent. Un temps de rien. Où même un pardessus est inutile. Reste ce gros livre idiot. Et cette dédicace au crayon qui ne s'est pas effacée. Dont ni Bosseigne ni moi ne saurons que faire. 

Pas assez froid pour faire un feu, a grommelé Bosseigne.








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