mardi 13 août 2013

Petits miracles du désert


Petits miracles.
Comment ?

C’est la manière qu’ont les finlandais de dire êtres humains.
Pour moi surtout oiseaux, insectes, renards, chats, chiens.
La langue revient et traverse le sens. De gauche à droite, de droite à gauche. Telle langue écrite et lue.
Petites hirondelles apprenant à voler, par exemple. Et s’élançant malgré la peur.
Bien la chose qui nous retient le plus, cette émotion-là.
Mais les parents autour en volant incitent les jeunes à les rejoindre.
Et ?
Ils se lancent.
Depuis l’enfance jusqu’à la mort.
Que veux-tu dire, là.
Les cigales par exemple ou les libellules. Il paraît qu’il est impossible de filmer le vol d’une libellule. Alors on épingle. Papillons, scarabées, libellules. Des insectes et puis nous, en face à les regarder. Notre esprit cherchant à comprendre.
Quoi ?
Rien. Ou plutôt. Cette interruption permanente de la pensée devant la nature, devant le rocher, la forêt. Ca s’arrête. Enfin moi.
Mais non. Tout se poursuit et toi.
Aussi, oui. Et ce mot, oui, philosophique. Mais non parfois.
Aussi, rétorque mon parent. Retoque, pourrais-je dire.
Certaines cigales sous terre pendant plus de cinq années et ensuite vivent huit jours, quinze et pondent un œuf puis meurent.
Pendant ce temps certains oiseaux vivent plus longtemps que les humains.
Et les chiens si peu à vivre en compagnie de leur maître, me disait le poète Pennti Holappa.
Si peu mais quand tu te fais âgé tu n’oses plus reprendre un chat ou un chien, parce que tu vas mourir avant lui et alors…
Comme le reste. Livres, objets aimés, souvenirs, tout s’en va à l’encan.
Tu avais commencé par le mot miracle et te voilà bien triste ce matin.
Restons-en là, ai-je soupiré, me rendant compte du tour que prenaient mes paroles, sans doute dû à un excès de gourmandise la veille au soir.
Et puis, reprit mon parent, le vent du nord chasse les idées noires en nous apportant un peu de fraicheur. Ce n’est pas l’hiver, non, juste une pause dans la chaleur étouffante de l’été. Cesse donc de vivre comme si tu allais mourir dans une heure !

Et Bosseigne a éclaté de rire.

C’est à cause de toute cette histoire, ai-je repris. En considérant les initiales du poète Maxime H. Pascal, je me suis souvenu d’autres initiales. MHP. Et de là…
Oui ? Oh, cette manière de laisser en suspens celui qui t’écoute !

Comment parler encore ? Ces initiales de MHP m’avaient si longtemps tourmentée. Pour une obscure raison, mauvaise sans doute, jalousie du manteau bleu à col d’hermine supposé, de la voiture avec chauffeur, du sentiment d’injustice sociale. Envie, jalousie, péchés capitaux. Mais mon parent est aussi mon ami, me suis-je dit, mon compagnon.

Dominique Savio, tu connais ?
Pas du tout, c’est quoi encore, cette histoire ?

Et mon parent semblait s’amuser beaucoup. Alors je me suis mise à raconter. Mais quoi ? Je ne savais pas très bien où ça allait mener. Comme souvent, on tire un fil et puis rien ne se passe. On se retrouve avec une pelote informe. On rit un peu, c’est tout. Ou pas du tout. Je me souvenais de cette sorte de parabole qu’avait voulu nous transmettre une religieuse qui nous faisait le catéchisme. Un garçon à qui on demande ce qu’il ferait si la mort venait le chercher dans une heure et qui répond : rien, je continuerais à faire ce que je serais en train de faire. Prier, jouer, manger. Ce garçon, une fois mort, est  devenu un saint. Et dans mon esprit d’alors, il virevoltait mort sur des patins à roulettes comme Rose de Lima est morte pour racheter les péchés de sa mère à la vie dissolue.

Deux récits édifiants !
Mais faux.
Comment ça ?
Je crains d’avoir tout inventé.

Là, nous nous sommes arrêtés. Le matin était frais, presque trop frais pour un mois d’été. Je suis allée chercher un pull. Bosseigne a refait du café, chose qu’il ne fait que rarement. Il fallait nous réchauffer, et me réconforter. Je l’ai attendu assise sous l’arbre, en frissonnant un peu. A son retour, j’ai évoqué Claude-Louis Combet et son récit sur Sainte Rose de Lima. Mes recherches sur le personnage de Rose après ma lecture.
La découverte de la vérité. Rien de ce que j’avais cru n’était vrai. J’avais imaginé une jeune fille du XX° siècle, Rose vivait au Pérou au XVII° siècle. Ses parents étaient de bons chrétiens d’origine espagnole. Elle se mortifiait, mais pas du tout à cause de la vie mauvaise que menait sa mère que j’avais cru adultère et frivole.

Ce que t’avait fait croire la religieuse pour te faire culpabiliser à propos de ta mère ?
Peut-être. Peut-être pas.
Tu t’accuses toi-même d’avoir falsifié la vérité ?
Je n’en sais pas plus. Il y a aussi une brochure en couleurs que je voulais acheter. J’en avais très envie et je la revois, me semble-t-il, avec toute une imagerie sud-américaine contemporaine très colorée. La mère de Rose allant danser avec des mariatchis…
Et alors ?
Mon père n’a pas voulu me donner l’argent. Il n’aimait pas que j’aille dans une école catholique.
Et ta mère, ma tante ? Pas vraiment orthodoxe dans sa manière de croire !
Oui, mais elle ne m’a rien donné non plus et je ne sais pas si j’aurai osé lui demander tant il me semblait que la brochure parlait de notre histoire familiale.
Donc on t’aura raconté cette histoire ? Tu ne l’as pas inventée ! Ton père avait raison de ne pas vouloir te mettre dans ce genre d’école !
C’est ma mère qui voulait que j’aille chez les sœurs. Ils étaient déjà divorcés quand je suis entrée à l’école.
Je sais, mes parents m’ont un peu éclairé sur le sujet.
Ils sont morts trop tôt.
Ils sont morts ensemble. C’était étrange quand j’étais au lycée de dire : je suis orphelin. Et la question venait tout de suite : il te reste au moins ta mère ou ton père ? Non, ils sont morts tous les deux, ensemble. C’était le silence ensuite. Aucune autre question possible après ça.
Comme après Dominique Savio et Rose de Lima.

Le café de Bosseigne n’a pas réchauffé la conversation.
Mais le soleil s’est mis à briller plus fort. Miracle ?




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