mardi 20 août 2013

Le suisse de Nicolas Bouvier.

Il y a des coïncidences de mots comme.
Des coïncidences de faits?
Des sortes de.
Oui, des connexions, des télescopages.
C'est ça, télescopage, jolie expression pour dire.
Que notre existence est remplie de télescopages, parfois brutaux!
Et parfois doux à entendre.
Encore des mots, alors?
C'est le matin, la pensée est fraîche et les rêves ont été tendres.
Alors?
Le bleu du ventre du rollier hier dans les blés coupés, une douceur.
Et?
Ce mot trouvé chez Bouvier, en ce moment compagnon de l'été, la roille.
Suisse à nouveau?
Je m'y prépare.

Encore un matin d'été, mais déjà plus frais, presque automnal, feuilles rongées de rouille dans l'herbe que le vent a apportées cette nuit. Sol jonché, piqueté, craquant sous le pas. Et nous, devant un thé fumant. Du Ceylan. Entorse à la règle. A cause de nos lectures, me suis-je dit, en regardant la théière.

Tu pars bientôt.
Et toujours aucune nouvelle du fauteuil.
Ma thèse se finit doucement, comme un été.
Bouvier a de ces manières de raconter qui parfois me touchent si juste que j'ai l'impression qu'il m'écrit à moi et non à Thierry Vernet. La roille, c'est lui. Une forte pluie.
Et la Suisse?
C'est là où est Vernet. Mais je saute souvent ses lettres. Celles de Bouvier m'emmènent là où je dois être.
Entre roille et rollier?
Exactement. Dans ce mouvement de départ et de retour qui est l'écriture même. Et le silence entre les deux, et aussi cette santé dont on comprend qu'elle entrave le voyageur mais aussi justifie son immobilité à Galle.
Parle-moi encore de l'oiseau.
Aperçu hier en remontant de T.
Oui?
Blés coupés, à ras, on sent la dureté des tiges dorées sous le pied nu. Et miracle: l'oiseau bleu se pose, s'envole, revient et s'en va. Je me suis arrêtée pour le regarder, un enchantement dans la chaleur de l'après-midi.
Et aussi?
Cette joie d'avoir pour soi deux mots à mettre ensemble, tu entends? Roille, mot tout neuf pour nous, et rollier, oiseau que je n'avais pas vu cet été. Oui une belle joie de rencontrer à peu de distance ces deux-là, comme des amis retrouvés, ou plutôt comme si l'un, connu déjà et aimé, nous présentait un ami cher qui devenait à son tour etc...
Du coup la Suisse...
Est entrée dans nos journées et se rapproche assez joyeusement. Et surtout Nicolas Bouvier, un ami suisse. Il y en a d'autres. Et même portugais.
Tu sautes par dessus les frontières et les pays!
Oui, mais la Suisse, c'est pour bientôt.

Malgré l'inquiétude, ai-je pensé. Bosseigne souriait. A quoi bon évoquer cette peur silencieuse? Je verrai la Suisse de ma mère et j'en reviendrai guérie. Sans doute. Portant avec moi un vase rempli de cendres et relisant les mots de Robert Walser, ashes, ashes, je laisserai ma mère là où notre famille en fuite vivait, avant l'exil, avant Marseille. J'essaierai de ne pas voir cette femme agenouillée sur les bords de la Deûle pleurant son enfant morte, elle, la meurtière. Ou ce père et cette mère pendus et leurs enfants empoisonnés par leurs soins. Ou au loin la mère de Djokaer. Je délaisserai pour un temps l'histoire du fauteuil et peut-être celle des fils et des filles.

Quand tu seras en Suisse, qui sait? Peut-être aurai-je des nouvelles du fauteuil et même peut-être irai-je le chercher? Ce serait drôle, non?
Espérons!
L'espoir, c'est le passé. Ce qui m'intéresse est un présent.
Compris! Je rapporterai de Suisse des mots et des couleurs, comme la couleur fauve qu'on trouve dans le Jorat, en automne et les mains des aimés, ceux de Gustave Roud, tu te souviens? Des présents suisses, suite d'instants!

Puis le vent.
Froid et fort comme un hiver en été.
Un hercule des arbres, jouant à les malmener joyeusement, tel est le vent dans ce pays.
Et mon parent et moi, avec, sur la table, deux petits mots, comme oisillons.
Et je me demandais en voyant les nuages au ciel si rapides,
lesquels étaient fragiles, lesquels étaient forts.
Nous ou les mots?
On a besoin de café, a dit Bosseigne. Tu iras en acheter?
Plus de thé alors?
Pour aujourd'hui, c'était en accord, mais demain...
Du mexicain toujours?
De l'italien cette fois. Voyageons un peu, vers les Cinque terre, ça te dirait?

Encore une fois, Bosseigne a gagné la partie, me suis-je dit, un peu plus tard dans les rayons du supermarché.
Oui, Bosseigne a raison, choisissons un peu d'Italie pour le matin, l'été s'attardera un peu au jardin.
Et j'ai fait provision de café italien.
Au moins pour tenir jusqu'au départ suisse.
Allons, un peu de courage!
Et je suis revenue vers la maison.





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