jeudi 8 août 2019

Désordres, destructions, ruines...

Oiseaux rasant le fleuve, chaton perdu au fossé, pas encore écrasé.
La centrale va être détruite. Démantelée est le mot exact.
Privée de son manteau.
Nous l'aimions sans trop savoir pourquoi.
À cause de sa cheminée-chaussettte.



Sous le soleil de fin d'après-midi, la centrale a des airs russes.
Mais elle n'a jamais brûlé ni explosé.
Immobile et triste dans la lumière, elle attend que ce soit fini.
Tout semble calciné, desséché.
L'eau du Rhône file vers la mer, imperturbable.
Je ne sais pas à quoi vont servir les restes de l'usine que des gros engins désossent et entreposent plus loin.
Elle n'était plus rentable. Il y a eu des grèves. Rien n'y a fait.
Je ne sais pas ce que sera le paysage quand elle aura été rasée.
Je ne sais pas ce que va devenir la route qui la desservait.
L'énergie du fleuve est-elle tarie?
On lui préfère Tchernobyl.




Je remonte le temps ailleurs, plus au sud. Marseille.
Ville rebelle et orientale de toujours, déjà en 17... on la décrivait comme turque, barbaresque, levantine, une ville mal ordonnée.
Là aussi la destruction a fait rage. Construire et détruire sont les mots qui marquent l'histoire de la plus ancienne ville de France. Rattachée au royaume à la fin du XVI° siècle et toujours prête à en sortir. Toujours prête à brûler son passé, jusqu'à Deferre et Gaudin.
À le laisser pourrir et s'écrouler sur ses habitants.
À les déporter, à les enfermer.
Cicatrices effacées?

Les remparts de Louis XIV ont moins bien résisté que les plus anciens. Il faut dire que ce roi n'était pas aimé des Marseillais, et pour cause. Même si on le disait roi-soleil.
Je me demande si cette détestation m'a été donnée dès l'école. Religieuse pourtant.
Je ne sais rien ou presque de l'arrivée à Marseille de la famille italienne dont je porte le nom.
Je ne sais pas l'origine de ce tout petit hameau à l'intérieur du plus grand arrondissement de Marseille.
Il porte mon nom au pluriel.
Ce nom ne fait pas partie de l'index des noms de familles célèbres de la ville.
Sauf peut-être ce capitaine des pompiers qui fut remarqué au moment de l'incendie des Nouvelles Galeries.
Galères en tous genres.
Je ne sais pas ce que deviennent dans la mémoire d'un enfant tous ces noms, tous ces événements, toutes ces rues, tous ces lieux arpentés par des parents morts.
Je me demande si la géographie désordonnée de la ville explique l'état de ma table de travail et de mon esprit.

Désordres.
Au pluriel, comme dans le nom du hameau, non loin des Caillols où je souffrais avec constance pour soigner le souffle et la peau, comme Lamartine venu au XIX° siècle faire une cure d'eau soufrée. Ma mère croyait que ce serait bénéfique pour l'enfant dont elle soupçonnait la fragilité.
À cause d'une hérédité dont elle ignorait presque tout. Aussi m'assignait-elle ces jours de cure où je plongeais dans un monde malodorant et brûlant où tout était de la couleur du soufre.
Je ne sais pas si c'est pour nettoyer l'arbre généalogique en désordre qu'elle avait recours à ce type de thérapeutique radicale.

De là, peut-être, vient ma détestation du jaune.


(On consultera avec profit diverses histoires de Marseille, dont celles de Bouyala d'Arbaud ou du grand historien Emile Temime, ou encore celle de Judith Aziza)



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