mardi 20 mars 2018

Carré 34




« Un carré de terre soigneusement encadré avec des blocs de meulière, mais totalement vide, couvert de cailloux devant la paroi d’une tonnelle, au-dessus des parterres cultivés, en même temps bien plus petit qu’eux, une jachère depuis des années, arrosée cependant avec autant d’art que d’inutilité par une gouttière, et devant lequel je me disais chaque fois : « Le cheminot a aménagé cela en mémoire de sa femme » écrit p.h. à propos d’un carré minéral dont seule la forme en fait un jardin et la terre aussi c’est étrange mais des carrés comme ça il y en a partout si on regarde de près le sol ou plutôt les trottoirs on voit des carrés de mémoire où sont gravés les noms de déportés j’en ai vu de nombreux en allemagne mais là à ce point du parcours quotidien je me demande pourquoi p.h. évoque une jardinière disparue comment cet exercice de mots et d’outils devenus nécessaires quasiment permet de telles évocations stèles couchées de laiton sur lesquelles nous marchions avec précaution incisées de noms et de dates sauf que là rien seulement des cailloux tels ceux déposés sur une tombe peut-être était-ce autrefois jardin de simples ou de fraises des bois pieusement entretenu par la morte et que le survivant ne concevait que stérile et l’eau qui y courait lors des fortes pluies automnales n’avait pour but que de rincer le carré de la poussière sèche de l’été il était comme ça aujourd’hui mais n’avait pas toujours en été si sec ce cœur rempli de larmes peut-être au secret du jardinage cachait une histoire très triste alors que le narrateur de cet étrange livre (dont je ne supportais pas qu’il finît) lui-même restait un solitaire alignant des sortes de carrés de mots comme autant de poèmes brefs tantôt parlant d’abeilles de grenouilles de renards évitant les ramasseurs de champignons se cachant d’eux assis seul en marge sur un tronc carré


(19 mars)

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