« Un carré de
terre soigneusement encadré avec des blocs de meulière, mais totalement vide,
couvert de cailloux devant la paroi d’une tonnelle, au-dessus des parterres
cultivés, en même temps bien plus petit qu’eux, une jachère depuis des années,
arrosée cependant avec autant d’art que d’inutilité par une gouttière, et
devant lequel je me disais chaque fois : « Le cheminot a aménagé cela
en mémoire de sa femme » écrit p.h. à propos d’un carré minéral dont
seule la forme en fait un jardin et la terre aussi c’est étrange mais des
carrés comme ça il y en a partout si on regarde de près le sol ou plutôt les
trottoirs on voit des carrés de mémoire où sont gravés les noms de déportés
j’en ai vu de nombreux en allemagne mais là à ce point du parcours quotidien je
me demande pourquoi p.h. évoque une jardinière disparue comment cet exercice de
mots et d’outils devenus nécessaires quasiment permet de telles évocations
stèles couchées de laiton sur lesquelles nous marchions avec précaution
incisées de noms et de dates sauf que là rien seulement des cailloux tels ceux
déposés sur une tombe peut-être était-ce autrefois jardin de simples ou de
fraises des bois pieusement entretenu par la morte et que le survivant ne
concevait que stérile et l’eau qui y courait lors des fortes pluies automnales
n’avait pour but que de rincer le carré de la poussière sèche de l’été il était
comme ça aujourd’hui mais n’avait pas toujours en été si sec ce cœur rempli de
larmes peut-être au secret du jardinage cachait une histoire très triste alors
que le narrateur de cet étrange livre (dont je ne supportais pas qu’il finît)
lui-même restait un solitaire alignant des sortes de carrés de mots comme
autant de poèmes brefs tantôt parlant d’abeilles de grenouilles de renards
évitant les ramasseurs de champignons se cachant d’eux assis seul en marge sur
un tronc carré
(19 mars)
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