mercredi 1 février 2017

Mes cartes. Avec elles, je peux retrouver mes reines.

On ne sait pas pourquoi.
Mais certains matins on ne retrouve ni son visage ni ses rêves.
Les reines qui les peuplaient nous ont désertés.
Et il y a cette ressemblance entre les mots, une lettre en moins.
Reines/reins. Lesquels font le plus mal?
De la peine?
Nous voilà visages vidés devant le miroir.
A.K. écrit: "se rider se vider se fatiguer/mourir.
Il faudrait la mer pour nettoyer notre esprit. La mente.
La poésie nous manque.
Le coeur nous manque.
Nous manquons à l'appel. Pas un sourire au miroir. 


Puis Mario Luzi entre sur la pointe des pieds, referme la fenêtre de la salle de bains.
Demande: tu n'as pas froid? Je suis le corps d'un soldat mort, as-tu envie de répondre.
Un tel corps n'éprouve plus rien. Christophe Manon l'a écrit. 
Mais la gentillesse du poète poursuit: un café te fera le plus grand bien, et, ajoute-t-il, 
ouvrira la page blanche de la mer, non?

Tu avales une ampoule qui met de bonne humeur, tu cherches des yeux la silhouette de Luzi, ne trouve que celle, pressée, d'une femme qui court à son travail.
Elle traverse la cour et disparaît.
Tu regardes la cafetière fumante.
La tranche de gâteau au chocolat.
Le pain.

Il y a de l'amitié dans le pain.
C'est une phrase qu'on a déposée sur ta table.
Pour te réconforter.

Mais.
Il t'en faut davantage ce matin.
Ton incertitude cherche où se poser, où détruire.
Où faire carnage de sérénité envolée.
Dire détestation. Crier silence.
Puis.
Un écran t'envoie deux messages.
Ils parlent de réveil et de pain. Et t'obligent à sourire.
Des mots aimés reviennent (ritorno in patria) : corniche, mer, plage, mouette.
C'est dans un poème de Mario Luzi.
Quelqu'un sur la page de la mer...
Un film de Dominique Cabrera. Tu as pleuré à cause de.
Marseille, la mer, la corniche. Le saut.
Tu te souviens.
Marseille est un nom séparé de toi.
Une ville bleue et rouge.
Toujours.
Entaillé en toi.
En Vau, mer bleue et rouge.
Du plus loin au plus proche, carte déployée sur les genoux, Jarre, Riou, Pomègues, Ratonneau.
Archipel de Marseille.
Tu dis à haute voix dans la pièce vide: je n'ai plus de famille vivante à Marseille.
Mais.

Tu sais que la réédition du recueil Marseille éclats et quartiers te remplit d'émotions contradictoires.
Le bleu de sa couverture que ne verra jamais ton père.
Ni cet homme ancien, Lucien, qui te nommait Bleue.
Et tu te souviens de ton âge.
Quel jeune poète arpentait la ville en tous sens?
Sortant de la place Carli pour rejoindre les allées de Meilhan
avec Zohra l'aimée entre toutes?
Aujourd'hui quelles ombres t'accompagneraient si à nouveau tu descendais la Canebière ?

Alors entre l'ours.
Celui d'enfance et celui des cavernes.
Celui tendre et celui de pierre et d'os.
Avec Mario Luzi ils entament une danse.
La danse de l'ours est un poème.
À ton tour tu entres.
Dans la danse.
Tu refermes la fenêtre de la salle de bains.
Déplie le papier d'aluminium.
Déguste les miettes de gâteau au chocolat.

Un panier est posé par terre.
Tu pourras tout à l'heure y déposer
le livre de Javier Marias
que tu vas acheter
avant midi.
( librairie Cousin Perrin, Le Blanc, 1° février)









1 commentaire:

  1. Mon œil est d'abord tombé sur la carte "Chaîne de l'étoile" ! Quelle était donc cette grande ville à côté de ma "Serra d'Estrella" ?

    RépondreSupprimer