mardi 1 novembre 2016

Lettre à une robe de satin vert, aux amis photographes et à Marcel Bascoulard



C’est une lettre en robe verte de satin.
Elle comprime un corps sans grâce.
Mais au-dessus un sourire timide me demande de la prendre en photo.
La robe sourit. Plusieurs photos, debout, assise dans l’herbe, non loin du Guadiana.
La robe parle avec douceur.
Son visage est une lettre d’amour adressée à un inconnu.
Il dit sa présence en ce lieu et combien l’amour est fort.
Je prends des photos. La robe verte est satisfaite. Je ne suis pourtant pas une bonne photographe. Et j’ai des difficultés à photographier les gens ; quand je montrais mes photos à ma mère, elle les trouvait sans intérêt parce qu’il n’y avait personne dessus.
Bascoulard aimait à se prendre en photo. Le selfie n’existait pas en tant que tel, mais l’autoportrait existait.
Bascoulard-Rembrandt.
Retour en force de l’artiste.
La robe verte s’éloigne avec son précieux trésor. Elle va pouvoir l’envoyer à qui de droit, son amoureux lointain ? Le fleuve change à toute vitesse. Nous avons d’ailleurs failli nous laisser prendre à la remontée rapide des eaux.
À présent, la petite île traversée à gué et sur laquelle nous nous étions installés pour lire, est entièrement entourée d’une eau puissante qui suit la poussée de la marée. C’est un phénomène étonnant. Nous restons à regarder, fascinés par le phénomène tandis que la robe verte est remontée dans sa voiture et tente de partir ; la pente raide et caillouteuse fait déraper l’auto et elle cale plusieurs fois.
Et finit par disparaître.
Comme les îles et les gués de pierres noires, comme les îlots, comme les joncs, tout finit par être recouvert par le Guadiana. L’océan n’est pas si loin et la marée est forte.
La robe verte de satin était si tendrement présente dans son désir d’être prise en photo que je ne peux me souvenir d’elle qu’avec la couleur et le tissu de sa robe.
Si elle n’était pas belle, sa robe l’était et sa manière émouvante de la porter. Et tourner et virer sur la partie émergée de la rive où nous nous tenions, elle et moi, avait la grâce des solitaires et des amoureux. Elle se demandait comment m’aborder et cherchait le moyen. De toute façon il n’y avait que moi à qui elle pouvait le demander. Le pêcheur était occupé et mon compagnon dessinait.


Le fait qu’elle me demande de la photographier a fait ressurgir Bascoulard. J’en ai profité ensuite, après son départ, pour photographier mon ombre en guise d’autoportrait. La photo, dit Barthes, est une inscription dans le temps. Un ça a été  qui ne sera plus. Mais c’est aussi la preuve que nous avons été vivants en un lieu précis. Encore une fois les images de Bascoulard que je possède me rattrapent. Toutes disent son désir de fixer l’instant le plus élégamment possible. Le satin vert de la robe inconnue renvoie au tissu de certaines jupes que se faisait confectionner le peintre par les religieuses de la Visitation qui n’y voyaient pas malice. Jeune, Bascoulard n’envisage pas de la même façon le fait de se faire prendre en photo. Du reste, il n’a pas encore d’appareil à lui. Ce qu’il donne à voir au photographe, c’est avant tout sa jeunesse et son indiscipline. Ensuite il prend les choses en main et ordonne la mise en scène de son histoire avec le textile. Ce qui me frappe dans ses autoportraits faits avec un retardateur, c’est le soin du cadrage et le bout de miroir brisé qu’il tient le long de son corps, du côté droit. Presque nonchalamment.
Ma dame à la robe verte n’était pas nonchalante du tout.
Une certaine inquiétude la tenaillait.
À preuve sa manière d’aller et venir sur l’étendue herbeuse.
Venue là dans sa grande (trop grande) voiture blanche, pour fixer l’instant et l’envoyer à l’aide de son téléphone. Et la pensée me vient que c’était peut-être pour un site de rencontres plutôt que pour une personne en particulier.
Ce serait encore plus triste.
Du temps de Bascoulard, on se faisait photographier chez le photographe, dans un décor prévu à cet effet. On a certaines photos de l’artiste prise dans le studio des Morlet à Bourges, une sorte de salon bourgeois où Bascoulard pose la main sur le dossier de fauteuil Louis XV et se tient bien droit. Le temps a passé. Il est plus âgé, ses cheveux longs lui donnent un air un peu étranger. Dès qu’il en a eu les moyens, Bascoulard a acheté un appareil photo et a entrepris une étrange collection, centrée uniquement sur lui-même, alternant les autoportraits et les photos prises chez Morlet.
Aucune photo de lui dans l’exposition à la Halle Saint Pierre. Pourtant il s’agit d’une œuvre à part entière. Que ce soit les photos qu’il a prises lui-même ou celles qu’il a fait faire, il y a là un projet de collection qui pourrait s’apparenter à l’œuvre d’Opalka justement.
Evidemment rien à voir avec l’œuvre photographique de Gustave Roud.
Ni avec cette manie que nous avons de faire des photos aujourd’hui parce que c’est si facile et que ça coûte rien.



Ici nous sommes frontaliers. Et les jours fériés comme aujourd’hui, les espagnols traversent le Guadiana et viennent se promener de ce côté-ci. Peut-être les portugais font-ils pareil et vont-ils à leur tour de l’autre côté de la frontière. Je me demande si la robe de satin vert venait de l’autre rive. Y avait-il pour elle un enjeu à se faire photographier sur la rive portugaise du fleuve ?
Sur l’autre rive très escarpée par endroit et sauvage, des chèvres jouaient à qui va le plus haut. Des pies bleues descendaient en piqué vers les eaux et un aigle de Bonelli cherchait son repas du soir. Dans ce pays sec et aride, le fleuve reste l’élément le plus vivant et le plus attractif. Pour les humains comme pour les animaux.
Pendant que nous observions la rapide et irrésistible montée des eaux, plusieurs personnes sont venues voir où en était le fleuve ; avant qu’il soit trop haut, un jeune homme s’est baigné et ensuite lui et sa compagne se sont dépêchés de rejoindre la rive. Ce qui fait de Mértola un paradis, c’est le fleuve. Mais nous avons bien failli hier rester prisonniers de ses eaux puissantes.

Je n’ai pas goûté l’eau du Guadiana.
Est-elle salée ?
Encore une fois saùde !

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