C’est une
lettre en robe verte de satin.
Elle comprime
un corps sans grâce.
Mais au-dessus
un sourire timide me demande de la prendre en photo.
La robe
sourit. Plusieurs photos, debout, assise dans l’herbe, non loin du Guadiana.
La robe parle
avec douceur.
Son visage est
une lettre d’amour adressée à un inconnu.
Il dit sa
présence en ce lieu et combien l’amour est fort.
Je prends des
photos. La robe verte est satisfaite. Je ne suis pourtant pas une bonne
photographe. Et j’ai des difficultés à photographier les gens ; quand je
montrais mes photos à ma mère, elle les trouvait sans intérêt parce qu’il n’y
avait personne dessus.
Bascoulard
aimait à se prendre en photo. Le selfie n’existait pas en tant que tel, mais
l’autoportrait existait.
Bascoulard-Rembrandt.
Retour en
force de l’artiste.
La robe verte
s’éloigne avec son précieux trésor. Elle va pouvoir l’envoyer à qui de droit,
son amoureux lointain ? Le fleuve change à toute vitesse. Nous avons
d’ailleurs failli nous laisser prendre à la remontée rapide des eaux.
À présent, la
petite île traversée à gué et sur laquelle nous nous étions installés pour
lire, est entièrement entourée d’une eau puissante qui suit la poussée de la
marée. C’est un phénomène étonnant. Nous restons à regarder, fascinés par le
phénomène tandis que la robe verte est remontée dans sa voiture et tente de partir ;
la pente raide et caillouteuse fait déraper l’auto et elle cale plusieurs fois.
Et finit par
disparaître.
Comme les îles
et les gués de pierres noires, comme les îlots, comme les joncs, tout finit par
être recouvert par le Guadiana. L’océan n’est pas si loin et la marée est
forte.
La robe verte
de satin était si tendrement présente dans son désir d’être prise en photo que
je ne peux me souvenir d’elle qu’avec la couleur et le tissu de sa robe.
Si elle
n’était pas belle, sa robe l’était et sa manière émouvante de la porter. Et tourner
et virer sur la partie émergée de la rive où nous nous tenions, elle et moi,
avait la grâce des solitaires et des amoureux. Elle se demandait comment
m’aborder et cherchait le moyen. De toute façon il n’y avait que moi à qui elle
pouvait le demander. Le pêcheur était occupé et mon compagnon dessinait.
Le fait
qu’elle me demande de la photographier a fait ressurgir Bascoulard. J’en ai
profité ensuite, après son départ, pour photographier mon ombre en guise
d’autoportrait. La photo, dit Barthes, est une inscription dans le temps. Un ça a été qui ne sera plus. Mais c’est aussi la preuve que nous avons
été vivants en un lieu précis. Encore une fois les images de Bascoulard que je
possède me rattrapent. Toutes disent son désir de fixer l’instant le plus
élégamment possible. Le satin vert de la robe inconnue renvoie au tissu de
certaines jupes que se faisait confectionner le peintre par les religieuses de
la Visitation qui n’y voyaient pas malice. Jeune, Bascoulard n’envisage pas de
la même façon le fait de se faire prendre en photo. Du reste, il n’a pas encore
d’appareil à lui. Ce qu’il donne à voir au photographe, c’est avant tout sa
jeunesse et son indiscipline. Ensuite il prend les choses en main et ordonne la
mise en scène de son histoire avec le textile. Ce qui me frappe dans ses
autoportraits faits avec un retardateur, c’est le soin du cadrage et le bout de
miroir brisé qu’il tient le long de son corps, du côté droit. Presque
nonchalamment.
Ma dame à la
robe verte n’était pas nonchalante du tout.
Une certaine
inquiétude la tenaillait.
À preuve sa
manière d’aller et venir sur l’étendue herbeuse.
Venue là dans
sa grande (trop grande) voiture blanche, pour fixer l’instant et l’envoyer à
l’aide de son téléphone. Et la pensée me vient que c’était peut-être pour un
site de rencontres plutôt que pour une personne en particulier.
Ce serait
encore plus triste.
Du temps de
Bascoulard, on se faisait photographier chez le photographe, dans un décor
prévu à cet effet. On a certaines photos de l’artiste prise dans le studio des
Morlet à Bourges, une sorte de salon bourgeois où Bascoulard pose la main sur
le dossier de fauteuil Louis XV et se tient bien droit. Le temps a passé. Il
est plus âgé, ses cheveux longs lui donnent un air un peu étranger. Dès qu’il
en a eu les moyens, Bascoulard a acheté un appareil photo et a entrepris une
étrange collection, centrée uniquement sur lui-même, alternant les
autoportraits et les photos prises chez Morlet.
Aucune photo
de lui dans l’exposition à la Halle Saint Pierre. Pourtant il s’agit d’une
œuvre à part entière. Que ce soit les photos qu’il a prises lui-même ou celles
qu’il a fait faire, il y a là un projet de collection qui pourrait s’apparenter
à l’œuvre d’Opalka justement.
Evidemment
rien à voir avec l’œuvre photographique de Gustave Roud.
Ni avec cette
manie que nous avons de faire des photos aujourd’hui parce que c’est si facile
et que ça coûte rien.
Ici nous
sommes frontaliers. Et les jours fériés comme aujourd’hui, les espagnols
traversent le Guadiana et viennent se promener de ce côté-ci. Peut-être les
portugais font-ils pareil et vont-ils à leur tour de l’autre côté de la
frontière. Je me demande si la robe de satin vert venait de l’autre rive. Y
avait-il pour elle un enjeu à se faire photographier sur la rive portugaise du
fleuve ?
Sur l’autre
rive très escarpée par endroit et sauvage, des chèvres jouaient à qui va le plus
haut. Des pies bleues descendaient en piqué vers les eaux et un aigle de
Bonelli cherchait son repas du soir. Dans ce pays sec et aride, le fleuve reste
l’élément le plus vivant et le plus attractif. Pour les humains comme pour les
animaux.
Pendant que
nous observions la rapide et irrésistible montée des eaux, plusieurs personnes
sont venues voir où en était le fleuve ; avant qu’il soit trop haut, un
jeune homme s’est baigné et ensuite lui et sa compagne se sont dépêchés de
rejoindre la rive. Ce qui fait de Mértola un paradis, c’est le fleuve. Mais
nous avons bien failli hier rester prisonniers de ses eaux puissantes.
Je n’ai pas
goûté l’eau du Guadiana.
Est-elle salée ?
Encore une
fois saùde !
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