Lettre avant
la frontière
Celle qui mourut de sa robe bleue
élève son chant….À l’intérieur de sa chanson, il y a une robe bleue.
Alejandra Pizarnik
Après la robe
verte, le jardin du convento, les pies bleues, la remontée des eaux, après les
traces relevées sur la sable. Les chevaux de Louie. Que sera le départ, je n’en sais rien.
De quoi
allons-nous nous séparer ? Ce mot de départ renvoie si fort à la
séparation.
Ici tout tient
ensemble.
Mais le jour
du départ et ensuite ?
Ces bribes, tiendront-elles
encore ?
Je viens de
retrouver le manuscrit que j’avais emporté et qui devait me servir de guide. Le
journal de résidence écrit à Bourges où la route de Bascoulard croisait la
mienne sans cesse. Ce que j’ai écrit ici, depuis notre arrivée et encore pas
tout de suite, en est une sorte de prolongement. Mais où tout réclame
l’effacement du texte originel. Et de Marcel Bascoulard. Je ne sais pas, ai-je
une fois de plus envie d’écrire, où tout ça mène. Ecrire la disparition ?
Et comme pour
m’aider à y voir clair, le soleil vient de percer les nuages.
En parcourant
Ici Bourges, je marche à nouveau, solitaire, dans la ville sur les traces d’un
invisible en fuite. L’un poursuivant l’autre. Tantôt lui, tantôt moi. Que faire
de tout ça ?
Comme je n’en
sais rien, je prends une décision. Me débarrasser de ce journal, le renvoyer à
celui qui aurait dû le publier. Sinon, à qui en voudra.
Il faut que
cette histoire m’échappe, s’éloigne, comme moi je me suis éloignée. Sans en
faire le tour. Et me revoilà, ici, face aux oliviers, aux chants d’oiseaux, aux
pies bleues qui m’avaient tellement enchantée le premier matin, dans les
jardins du convento. Je les avais prises pour les oiseaux bleus des contes
d’orient et m’étais bâti un roman tandis que j’explorais les différents
espaces, dans un état d’exaltation joyeuse que j’aurais voulu communiquer à
tous.
Il y a de ça
presque trois semaines.
Depuis, Louie
m’a détrompée. Ce ne sont que des pies et comme toutes pies, voleuses et
pillardes. Louie les déteste.
Pourtant je
continue à les trouver très belles. J’apprends qu’elles viendraient d’Extrême
Orient. Leur vol bleu m’enchante toujours. Même si je suis désolée pour les
fruits du verger. Et pour Louie.
Nous allons
retraverser deux frontières, revenir vers la maison, nos aimés, un jardin, des
oliviers.
Que
laisse-t-on derrière soi quand on s’en va ?
La question
reste sans réponse pour tous les voyageurs.
Dans un sens
comme dans l’autre, si peu, presque tout.
En bon petit
soldat, j’ai écrit presque tous les jours.
Dessiné
parfois. Ecris des lettres. Nombreuses.
Lu de manière
compulsive des guides et des catalogues, en anglais et en portugais.
Tenté de
m’inscrire dans le paysage.
Interrogé des
tessons et un morceau de terre cuite à qui je prête une forme humaine.
Je ne sais pas
quelle importance ça a, tout ça. Notre voyage, nos marches, nos découvertes. Ni
surtout pourquoi je tente de les fixer sous une forme ou une autre, la
photographie me venant en aide plus que le dessin et même parfois que
l’écriture.
Tout en ayant
en tête l’idée qu’une photo de plus ou de moins, à quoi bon ? Bizarrement,
le plaisir naît de les regarder ensuite.
Ensemble.
Et d’en
effacer le plus possible.
L’écriture est
plus de l’ordre de la destruction que de la construction. Voilà ma conclusion
de ce matin, dans la proximité du départ.
N’ai-je pas eu
tout à l’heure l’envie d’effacer ces quelques notes ?
Il suffit de
se contenter du rôle simple de touristes. Parfois ça console de bien des
tourments.
Cesser de
penser à laisser une trace ?
Oui.
Et partir.
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