mercredi 2 novembre 2016

Avant la frontière!



Lettre avant la frontière

Celle qui mourut de sa robe bleue élève son chant….À l’intérieur de sa chanson, il y a une robe bleue.
Alejandra Pizarnik

Après la robe verte, le jardin du convento, les pies bleues, la remontée des eaux, après les traces relevées sur la sable. Les chevaux de Louie. Que sera le départ, je n’en sais rien.
De quoi allons-nous nous séparer ? Ce mot de départ renvoie si fort à la séparation.
Ici tout tient ensemble.
Mais le jour du départ et ensuite ?
Ces bribes, tiendront-elles encore ?


Je viens de retrouver le manuscrit que j’avais emporté et qui devait me servir de guide. Le journal de résidence écrit à Bourges où la route de Bascoulard croisait la mienne sans cesse. Ce que j’ai écrit ici, depuis notre arrivée et encore pas tout de suite, en est une sorte de prolongement. Mais où tout réclame l’effacement du texte originel. Et de Marcel Bascoulard. Je ne sais pas, ai-je une fois de plus envie d’écrire, où tout ça mène. Ecrire la disparition ?
Et comme pour m’aider à y voir clair, le soleil vient de percer les nuages.
En parcourant Ici Bourges, je marche à nouveau, solitaire, dans la ville sur les traces d’un invisible en fuite. L’un poursuivant l’autre. Tantôt lui, tantôt moi. Que faire de tout ça ?
Comme je n’en sais rien, je prends une décision. Me débarrasser de ce journal, le renvoyer à celui qui aurait dû le publier. Sinon, à qui en voudra.
Il faut que cette histoire m’échappe, s’éloigne, comme moi je me suis éloignée. Sans en faire le tour. Et me revoilà, ici, face aux oliviers, aux chants d’oiseaux, aux pies bleues qui m’avaient tellement enchantée le premier matin, dans les jardins du convento. Je les avais prises pour les oiseaux bleus des contes d’orient et m’étais bâti un roman tandis que j’explorais les différents espaces, dans un état d’exaltation joyeuse que j’aurais voulu communiquer à tous.
Il y a de ça presque trois semaines.
Depuis, Louie m’a détrompée. Ce ne sont que des pies et comme toutes pies, voleuses et pillardes. Louie les déteste.
Pourtant je continue à les trouver très belles. J’apprends qu’elles viendraient d’Extrême Orient. Leur vol bleu m’enchante toujours. Même si je suis désolée pour les fruits du verger. Et pour Louie.
Nous allons retraverser deux frontières, revenir vers la maison, nos aimés, un jardin, des oliviers.
Que laisse-t-on derrière soi quand on s’en va ?
La question reste sans réponse pour tous les voyageurs.
Dans un sens comme dans l’autre, si peu, presque tout.
En bon petit soldat, j’ai écrit presque tous les jours.
Dessiné parfois. Ecris des lettres. Nombreuses.
Lu de manière compulsive des guides et des catalogues, en anglais et en portugais.
Tenté de m’inscrire dans le paysage.
Interrogé des tessons et un morceau de terre cuite à qui je prête une forme humaine.
Je ne sais pas quelle importance ça a, tout ça. Notre voyage, nos marches, nos découvertes. Ni surtout pourquoi je tente de les fixer sous une forme ou une autre, la photographie me venant en aide plus que le dessin et même parfois que l’écriture.
Tout en ayant en tête l’idée qu’une photo de plus ou de moins, à quoi bon ? Bizarrement, le plaisir naît de les regarder ensuite.
Ensemble.
Et d’en effacer le plus possible.
L’écriture est plus de l’ordre de la destruction que de la construction. Voilà ma conclusion de ce matin, dans la proximité du départ.
N’ai-je pas eu tout à l’heure l’envie d’effacer ces quelques notes ?
Il suffit de se contenter du rôle simple de touristes. Parfois ça console de bien des tourments.
Cesser de penser à laisser une trace ?
Oui.
Et partir.




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