lundi 21 novembre 2016

Lettre de Tirana




Le lieu, toujours.
Une carte postale de Tirana.
Me rappelle que je ne suis pas allée à Tipasa, préférant rester avec des femmes algériennes qui me parlaient des années de plomb et des horreurs quotidiennes.
Aux beaux tapis et poteries, les mots m’avaient semblé plus précieux. Je ne sais pas si j’ai eu raison ou tort. Pourtant Camus me conduisait jusqu’à la mer quand j’habitais encore Marseille.
Et me demande là : pourquoi suis-je invisible dans ma ville natale ?
Tout ce que je sais de cette ville vient de si loin, ce doit être la raison de mon absence. Je n’ai pas hérité de la maison de ma grand-mère sur le cours Julien, ni de l’appartement de mon grand-père sur la Plaine. Mais de quoi hériter ? Tous deux étaient locataires.
On n’hérite pas des pauvres.

Je ne suis pas allée non plus à Tirana.
La carte postale de Tirana ressemble à une vue de la Costa Dorada, lumières, grandes tours, modernité. La carte est posée sur le bureau d’une adolescente. Née à Grenoble mais d’origine albanaise.
Je ne sais pas comment on passe de Tirana à Grenoble, de Grenoble à Tipasa. La force des noms de lieux traverse le temps. L’espace où nous habitons et dont nous rêvons laisse une empreinte durable et modèle nos existences.
J’ai tellement arpenté Marseille que ses rues pentues sont devenues des lignes à suivre de loin, celles qui ont la mer comme horizon. Rues que je retrouve à Lisbonne et Gênes. 
La mer comme horizon.
À Grenoble, ce sont les montagnes qui donnent l'orientation. Chartreuse, Bastille, et une autre encore. On a installé des tentes rouges et bleues sur l’herbe verte d’un parc. Tristes collines.
Dans le froid. Les doigts gelés, la mère et l’enfant dans ses bras. Nous les voyons en passant depuis le tram.

Samedi, j’ai récupéré deux livres, un de Dürrenmatt et l’autre de Bernard Comment. Deux écrivains suisses. Il y avait un marque-page dans un des deux livres, 27°salon d'Hermillon. Salle Durbet. L'action du Juge et son bourreau se passe entre Bienne et Berne. Ce qui m’a amusée, c’est ce nom, Durbet, presque identique au mien. Presque. Et la magnifique écriture, cinglante et maigre de Dürrenmatt. Son incompréhension ironique de ce que sont les francophones vaudois insiste sur la langue qui modèle notre espace intérieur.

Mercredi je verrai le Lac. De Genève, pas de Bienne. Le temps ne se récupère pas. L'espace nous revient, toujours.

Aller à l’est, pour revoir l’or des forêts.
L’or des pauvres, soleil d’hiver des arbres.
Dans les poches trouées, bribes et tessons.

Et l’amitié.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire