samedi 14 décembre 2013

S'accrocher : mourir?


"S'accrocher en égyptien ancien, s'accrocher à la montagne en assyrien, étaient des euphémismes qui voulaient dire mourir."
De quoi abreuver une conversation avec Bosseigne.


Me suis-je dit en me réveillant. Je m'étais endormie au Tibet. Non loin en fait du Dolpo.
Et voilà que je me réveillais chez nous, dans la maison héritée. Comme souvent, regarder la température extérieure. Zéro. Pas de gelée pourtant. Temps sec. Je n'avais pas très bien dormi Sans raison. 

Revenir à la langue comme au pays natal, ai-je pensé en suivant des yeux le voyage de Matthiessen sur la carte. Le voyageur qu'il était avait des angoisses nombreuses. Mais heureusement s'attardait parfois sur notre bien commun, le langage. J'avais laissé en guise de marque-page un dessin recopié d'après Edward Lear, des enfants ou des fous dans un bateau en perdition.

La montagne ressemble à la mer dans le récit de Matthiessen. Je me suis souvenu que j'avais lu quelques lignes du dernier Thomas Bernhard publié en français, avant de sombrer. La figure de Goethe sur son lit de mort n'avait rien de réjouissant. La mer et la montagne se ressemblent en ce sens qu'elles offrent toutes deux la possibilité d'une disparition définitive. Mais Goethe meurt dans son lit. La neige est celle des draps. Le linge encore. Est-ce que le grand maître s'accrochait à son oreiller comme à la montagne?

A un moment, dit Matthiessen, il faut s'abandonner et il raconte comment, terrifié, il a franchi à quatre pattes un passage particulièrement dangereux au bord d'un précipice, avant de voir les sherpas le franchir quasiment en dansant, lourdement chargés pourtant.

Dans la langue, il y a des langues, ai-je commencé.
La tienne, la mienne, a poursuivi mon Bosseigne de bonne humeur ce matin.
Celle du matin, du soir, de la fatigue, des petites joies, des coups de feu autour de la maison.
Et bien d'autres, invisibles mais prêtes à chatouiller dès que possible la langue morne que nous utilisons trop souvent pour échapper à une vraie conversation.

Oh, Bosseigne. Là. Plus rien à ajouter à l'or du temps. Mon parent orfèvre du matin. Et moi, mal avisée à tenter un discours. Les coups de feu autour de la maison m'ont cloué le bec. Et le cil de la lune est devenu cette nuit une face ronde de montagnard rigolard.

Bois ton café, a dit Bosseigne. Ne fais pas ton Ernesto.
Che Guevara, ai-je pensé en silence.
Non, celui de la pluie. D'été.
En hiver? 
Ne pas aller à l'école pour apprendre des choses qu'on ne sait pas. Tu te souviens?
Et la neige. Pas de neige. Le chemin dans la neige.
Plus tard. On y viendra.
Il faut que la neige arrive, non? pour.
Dans la langue elle est. La neige. Pas besoin de.

Vrai. Gagné. Gagé aussi que.
Bosseigne a relevé le front, l'a déplacé. Notre guerre.
A rejoint la capite où se serrer au chaud de la Suisse.
Y boire tous les cafés possibles.
Y manger le pain.

Et puis écarter le linge. Et ne pas s'accrocher à la montagne.
Pas encore.
Le gland ramené du Japon va germer, c'est certain.
Et il ne restait plus qu'à entreprendre un nouveau jour.
Ce que je fis, et Bosseigne.
Aussi.


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