lundi 9 décembre 2013

Ecarter le linge, ai-je dit à Bosseigne, ce matin.

Ecarter le linge, ai-je dit à Bosseigne, ce matin.
Et il ne savait pas où je voulais en venir.
Au linge, ai-je repris. Et son front s'est plissé.
Mais je n'ai pas voulu m'expliquer davantage.
Notre vie commune passe aussi par le linge, aurais-je pu ajouter, ce qui, certainement, l'aurait mis sur la voie.


Mais le matin froid nous retenait de parler. Feu à préparer. Café. Actions modestes visant à affronter la lumière et le gel de ce matin de décembre. Jardin figé de blanc. Cil de lune à peine visible. Lectures et rêves nocturnes entremêlés. N'étais-je pas arrivée cette nuit au fond d'une vallée où, en équilibre au bord de la mer, se tenait une antique maison aux fenêtres à meneaux, et ce, à bord d'un véhicule ancien conduit par un vieil homme qui semblait me connaître? Nous avions franchi un pont très étroit jeté sur un précipice. L'homme était sûr de lui. Le pont n'avait pas de rambarde. Je crois m'être demandée le nom de la rivière qui passait dessous. La Venoge? Le soleil avait blanchi tout l'espace où nous sommes arrivés. C'est tout.

Il y a des matins où nous nous racontons nos rêves, Bosseigne et moi. Et d'autres, non.
Il y a de nombreuses fois.
Où il faut laisser un peu de craye entre les gens, entre les mots.
Une fois, Bosseigne m'a appelée par jeu Bichette. Il n'a jamais recommencé. Encore un mot du linge? Pas vraiment, mais de la maison, oui. Pas tout à fait la nôtre, mais maison tout de même de la langue et de ses usages domestiques.

Bosseigne a eu un geste de la main.
Comme pour écarter des pensées ennuyeuses.
Puis a pris sa tasse et est resté un moment sans boire ni parler.
Puis.

Tu rappelleras la Tapissière?
Quand j'aurai écarté le linge.
C'est un tel ennui.
Linge ou fauteuil?
Maison, a-t-il répondu, quand elle ne nous habite plus.
Tu veux déménager.
Mais non, c'est simplement que tout s'emmêle et m'ennuie et cette fin de l'année, comme une hache à découper le beurre.

L'image avait de quoi m'étonner. Mais peut-être.

Le bois à couper n'est rien. Mais ce fauteuil, si un jour il entre dans cette maison et que ce soit l'hiver, je le débiterai en morceaux à brûler.
Tu l'auras trop attendu. Ma mère pourtant.
Me l'a donné en héritage, je n'avais rien exigé et ce fauteuil, un legs au-dessus de mes forces.
Si tu veux, nous n'achèterons plus de beurre.
Ce n'est pas un héritage anodin, ce fauteuil lié dans mon esprit à un maçon qui l'aurait chèrement acquis  en mourant pour la patrie.
La République plutôt, contre l'Empire. Mais ce Motus-là n'était pas celui du fauteuil. Plus tardif, un de ses enfants, un fils aux moustaches superbes, un cafetier. Il avait acheté un fauteuil pour lire son journal. Devant sa femme admirative. Et puis il est mort. Sont morts les uns après les autres, les propriétaires du fauteuil.

Comme moi je mourrais,  a conclu Bosseigne en se levant pour me signifier la fin de notre matin ensemble.

Il a quitté la salle où nous prenons notre petit déjeuner en hiver parce qu'elle est très tôt noyée de soleil.
A fait claquer la porte. A abandonné la place.

Cette histoire de fauteuil, ai-je pensé, a assez duré.
Et je me suis mise à ranger la maison.
Ce qui convenait pour démarrer.
Ensuite?
Ensuite.

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