mercredi 4 décembre 2013

Douleur du retour/retour de la douleur

J'ai l'habitude
De me considérer 

Comme vivant dans les racines,
Principalement celles des chênes. 

Comme elles
Je creuse dans le noir 

Et j'en ramène de quoi
Offrir du travail 

A la lumière.


Guillevic


C'est un mot. Un mot fait retour. Ce poème de Guillevic ramène au jour l'obscur terreau. Sur lequel. Avec lequel. Sans lequel.

Les doigts se salissent à creuser. Les ongles noircissent. Nostalgie. Avec dedans, caché, ce mot d'algie que je lis dans le nom du pays de Z.
N'en parle pas à voix haute. Ni à moi, ni à mon parent. Ni à personne. Comme un secret honteux, la découverte de ce glissement dans un nom de pays. Comme la fin d'une terre dans le nom Finlande, mais là, aucun secret, ou alors, à dévoiler à ceux qui ne l'auraient pas noté, simplement. Pas de honte ni de fierté. Rien. 
Les mains gantées de terre, on fouille dans la poésie.
On dépose sur la table des tessons, des noms, des éclats.
Mais de rire, non, un peu parfois de peine, un sourire quand, puis la lassitude vient, alors musique. Bosseigne en saura rien de mon errance matinale dans le jardin glacé ni dans la langue italienne dont je dois extraire le poème.
Pas de dialogue avec Bosseigne.
Aujourd'hui mon parent est absenté.
Et face au froid, je dérive aussi sûrement qu'un bateau sans gouvernail. Mon Bosseigne serait-il le pilote de cette existence, j'en viens à me le demander. Son absence comme sa présence, son fauteuil, cette thèse dont on ne sait s'il la finira avant le printemps, tout ce monde qui lui est propre nourrit les matins et les nuits. Sans lui je suis sans voix.

Dans les maisons des hommes, la poésie n'occupe pas beaucoup de place. Un fauteuil est plus présent qu'un recueil de mots, comme ceux qui bordent mon lit. On a tous table, chaises, lit et ces instruments destinés à nous simplifier le monde, réfrigérateur, machines. Mais de la poésie, on n'en possède presque rien, des volumes plats et blancs rangés ensemble le plus souvent et encore, solitaires, loin du calendrier des postes et de la fenêtre du jardin. Certains en garnissent des étagères. Comme je tente de le faire mais.


J'oublie si vite et ne sais.

Réciter une page entière de Degroote, Sacré, Rouzeau, Commère. Ne sais. Ne me souviens que d'un mot, une tournure, à cause que.
Et c'est peut-être à cause que nos maisons sont remplies de nécessités que, privés de ce qui est indispensable, éloignés, nous redécouvrons quelques lignes d'un poème, parfois davantage comme au Läger, Primo Levi récitait la Divine Comédie.

Et Bosseigne, toujours absent, lui, mon parent, se récitait-il dans le cimetière de Bourges quelques vers rattrapés de l'oubli pour donner à l'inconnu chinois un peu de sa terre lointaine? 


Bretagne de Chine ce matin.

Brume mouillée et brillante.
Quel poème?

Ayant longtemps vécu prisonnier en cage,Enfin à la vie naturelle je reviens.


Tao Yuanming (365-427)

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