lundi 15 janvier 2018

Un chant pour le visage?

Peter Handke (encore), Kali.
Je n'ai toujours pas retrouvé dans la maison son dernier livre, l'essai sur les champignons.
Envolé, disparu.
Invisibilité des mots, du papier.
Dans Kali, je trouve ceux-là :
"Et toi enfant, tu vas nous raconter. Raconter jusqu'au soir, jusqu'à la nuit. Car tu as désormais quelque chose à raconter, n'est-ce pas? N'est-ce pas? on ne sait jamais."
ils répondent à une rencontre faite hier et à la question du visage.
Un enfant assis près de nous dit qu'il ne veut plus de son visage.
Il dit : les autres voient un visage d'autiste quand ils regardent mon visage.
Je n'en veux plus.

Le visage depuis longtemps est une question.
Pour les philosophes, les théologiens, et pour les peintres.
Non seulement sa représentation, sa ressemblance avec le modèle, mais aussi comment porter son visage, comment le reconnaître, comment y échapper enfin.

L'enfant a su tout de suite que c'est par le visage qu'on affronte le monde.
Le regard, mais aussi la peau, le front, la bouche, les joues, tout est offert aux autres, dans un miroir dont nous ne verrons jamais l'endroit.
Visage volé, celui qu'on ne connaîtra jamais, celui que les autres voient avant nous.
Il le répète, l'enfant aurait aimé changer de visage. Ne pas être reconnu pour ce qu'il est aux yeux des autres (enfants, adultes).


Et au milieu d'une foule qui met un peu mal à l'aise les gens comme lui, on se prend à espérer devenir invisible. Voir mais ne pas être vu. Quelqu'un assis à côté de nous dit : où sont les plus jeunes venus écouter de la poésie? Et on aimerait avoir un autre visage, d'autres cheveux, d'autres joues que ceux entrevus dans l'assistance dont on fait pourtant partie. Un instant, on ne veut plus de ce visage que les années ont collé sur le véritable, resté en arrière du temps. Comme l'enfant, on voudrait ne pas être vu pour ce que les autres croient que nous sommes. Et la question posée enfant à un prêtre revient, qui l'avait fait sourire : si on est ressuscité, ce sera à quel âge ? Au moment de notre mort ou on pourra choisir ? Le prêtre avait éludé la question.

Lequel de nos visages est le véritable?
Les visages des gens que nous avons connus plus jeunes accusent le nôtre.
On dit, accuser le coup.
Le coût du temps sur les visages?
Une amie malade me confie qu'elle ne retrouvera jamais son vrai visage.Il est perdu.  C'est le mot qu'elle emploie. Perdu dans les gonflements des traits. À cause des traitements. Les yeux eux-mêmes.
Je n'ose lui dire à quel point je trouve son nouveau visage étrangement distant de l'ancien.
Ni combien me touche la métamorphose.
Papillon redevenu chenille?

Visage enfariné, disait ma mère à propos d'une voisine qui s'efforçait de lui être agréable. Double face, disait-elle aussi.
Et parfois on ne sait que faire du visage qu'on a, de la voix qui nous reste, du corps aussi, malmené.
Il arrive qu'on oublie tout ça et qu'on se tienne, un peu à l'écart, croyant à sa jeunesse, au regard intact, à la souplesse de la peau.
Et un enfant près de vous dit:
je ne veux plus de mon visage.
Il ne me ressemble pas.

Alors on joue avec un autre enfant, le Petit.
Les yeux : pour regarder.
Le nez : pour sentir.
La bouche: pour mentir.
Les joues: pour les baisers.
Les oreilles: pour écouter.

Un visage?
Le chiffre cinq?
Je cherche des yeux les gens qui marchent sous les arbres en fleurs.
Et si j'entends leurs voix, je ne vois pas leurs visages.

Et en tout dernier j'entends tout de même encore une voix se mettre à chanter :"Ah, quand un enfant se met à raconter : marche de gens sous les arbres en fleurs..."






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire