vendredi 12 janvier 2018

Marseille-Redortiers

Aujourd'hui, marchant au bout du monde, j'ai rencontré un chasseur.
En fait plusieurs chasseurs.
Un seul venait de Marseille et la mer lui manquait.
Au pays des pierres, des hêtres et des chemins qui bifurquent, l'homme voyait la mer devant lui.
La mer me manque, a-t-il dit.
Il ne chassait pas vraiment.
Fusil à l'épaule, il attendait ses beaux-frères.
Et un lièvre.

Avant de croiser la route du chasseur, nous avions découvert un lavoir extraordinaire alimenté par une source qui avait coulé tout l'été malgré la sécheresse. Et qui coulait là sous nos pieds.
Une petite mer verte et claire comme une huître. Presque.
Depuis Redortiers, un chemin descendait jusqu'au lavoir.
Dans une perfection de silence et de désert.
Un chemin avait été aménagé à l'aide de pierres blanches pour aller chercher l'eau.
Chemin presque intact. Les murs de soutènement en partie seulement écroulés par endroits.


Tout est fini. On ne vit plus à Redortiers depuis longtemps.
Des hommes travaillent toujours les terres. Lavandes.
Et chassent.
Et pourtant la commune de Redortiers-Contadour est immense sur la carte du pays.
Plus que pays bleu de lavande, pays blanc de pierres.
Roux de hêtres et de chênes.

Ici se tint un rassemblement utopique autour de Giono. Quelques étés.
Au lieu dit Les Graves.
On y écoutait de la musique baroque allongés sur un pré.
Presque cent personnes certaines fois montaient jusqu'ici.
On y refaisait le monde jusqu'à ce que la guerre déboule dans le paysage.

La montagne qu'on voit de loin apparaît à l'horizon, vers l'est.
Blanc récif au-dessus des plateaux.
En face de la petite mairie du Contadour, existe une stèle qui rappelle la déportation du maire à Mauthausen où il mourut. Justin Hugou et d'autres habitants cachaient des juifs et ravitaillaient les maquis.
Comme à Montbrun où Jean Pascal fut arrêté, déporté à Mauthausen où il est mort.
Même ici, au désert blanc de pierres et de neige,  on lit le nom de Mauthausen.


Et on croise aujourd'hui des bories intactes et solitaires, constructions de pierre sèche dont les bergers se servaient pour se mettre à l'abri. Lieux d'étonnante perfection pour se protéger de la chaleur ou du froid mordant, de la burle aussi.
Ou pour écrire.
Livres de pierre où le berger Albert écrivit son malheur.
Italien orphelin, né à Marseille, placé à la montagne.
Réformé, célibataire, solitaire.
Ecrivain des pierres, il a semé des phrases au crayon sur les parois calcaires des bories, dressant l'inventaire de sa vie et de sa misère.



Plus loin, nous avons vu des cerfs derrière des barbelés. Une réserve pour des vacanciers invisibles.
Et une autre borie, magnifique de blancheur calcaire, dans le soir. Muette.

Dans ce lointain pierreux, les hommes continuent à marcher sous les hêtres, avec ou sans troupeau, fusil en bandoulière et souriant aux inconnus qui traversent leur champ de vision.
Chasseurs d'étoiles et de mots.
De livres et de cerfs.
D'horizons où surgirait une baleine blanche.

Marchant, presque intacts, nous aussi.
Nous demandant pourquoi une vie entière loin de la mer, loin du désert.
Nous souvenant d'avoir mangé des sardines, dans la colline de Redortiers.
Il y a longtemps.
Avec nos enfants.
Nous demandant.
Ce que le froid vif ramène à la surface du lavoir : petites étoiles vertes d'un savoir inutile ?




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