lundi 27 mars 2017

La mer des Sargasses, un seul pain à la fois

Revenons à la mer des Sargasses, dit Bosseigne.
La jungle herbeuse, la mer de varechs?
Celle-là même, répondit-il en avalant sa énième tasse de café mexicain.
Encore un portugais, ai-je soupiré. Diogo de Teiva en 1452.
?
C'est wiki qui le dit. Le mot jungle en afghan, m'a expliqué un jeune garçon, veut dire bois. C'est là que nous nous cachons, a-t-il poursuivi. Dormant le jour, vivant la nuit.
Et notre dialogue s'est arrêté là.


Il y  a des jours où.
A-t-il repris un peu plus loin.
Revenu dans la cuisine griller du pain.
Je me demande pourquoi tu n'en cuis qu'un à la fois.
C'est comme la mer des Sargasses, on s'y perd.
À cause des algues?
Non, des anguilles plutôt. Ce que je me sens devenir en t'écoutant.
Humide de larmes.

Bossseigne laisse tomber quelque chose. De lourd. Qui remplit de bruit la conversation.
Pour ne pas entendre mon silence désapprobateur, comme disent les écrivains quand ils ne parlent à personne.
Je répète que tu devrais épargner la planète! 
En ne cuisant qu'un pain à la fois, tu.

Je pourrais tenter une explication. Mon parent est un homme sensible. Un fin lecteur. Un proche enfin. Quelqu'un en qui on peut avoir confiance. Mais là. Jungle vient du sanskrit et en hindoustani de jangal qui désigne un espace naturel sauvage. Ce qui n'explique rien. Ou plutôt ne dit rien des conditions dans lesquelles vivent les habitants de la jungle.


La consommation d'énergie est liée au nucléaire.
Je vais tenter de sortir des mots hors de ma bouche. Mais.
À la place, larmes obstruant le regard. Pourtant, au dehors, le printemps aligne ses rayures sur le toit.
Me sens ridicule. Qui prête à rire. Je ne prête rien. J'essaie de fabriquer du réel. 
Le pain, c'est quotidien. Les chrétiens l'ont mis dans leurs prières.
Et moi, dans le four, un seul pain par jour.

Tu lis trop ce type qui écrit sur la Bible.
Frédéric Boyer? Il a aussi écrit sur l'amour et le Kama Soutra, il l'a retraduit.
Tu es sûre?
Non. Mais un ami me l'a raconté. Je l'ai cru.
Un pain, soupire encore Bosseigne.
Un à la fois, oui.

Je ne peux en dire plus.
Je reviens vers le mot jungle.
L'odeur d'un seul pain dans un bois cuisant la nuit.
Et dans le fossé, des afghans qui ne dorment pas.
Mais non.
Nous sommes, mon parent et moi, sur la terrasse.
Et j'ai du mal à expliquer comment cuire un seul pain à la fois est aussi miraculeux qu'en cuire deux.
Et la planète?
Pour l'instant, juste une mer sans rivages, une jungle herbeuse.
Avec un enfant assis dans la lumière de la langue.
Et devant lui, un pain.
C'est tout, Bosseigne, pour ce jour.

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