À …l’ami qui connaît le chemin du cimetière de
Corcelles-le-Jorat et aux autres aussi, comme celui qui taille la pierre et les
mots
Je ne
sais pas.
Cette manière de commencer est venue à cause de mon
ignorance de certaines choses.
Dont je crois qu’elles sont connues des autres.
De mes amis.
Par exemple, ce tournoiement d’hirondelles dans le soir
de septembre.
Ma voisine a dit : elles se réunissent avant de
partir.
Déjà ?
Je ne sais pas quand ces oiseaux que nous aimons s’en
vont.
Bien sûr, avant les premiers froids.
Mais là, la chaleur, puissante, comme la bouche ouverte
des enfers.
Aujourd’hui je n’ai cuit qu’un seul pain.
À nouveau revenue en arrière ?
Je ne sais pas. Seulement une question de levure. Je n’en
avais pas assez.
Est-ce une bonne explication ?
Je n’en sais rien.
Le pain est bon. Il a bien levé.
Et puis il y a ce papillon Vulcain venu se poser sur la
main et revenant deux soirs de suite.
Est-ce dans les habitudes de ces papillons de
revenir ?
On dit qu’ils aiment se poser sur les orties.
Une main qui serait pour lui aussi attirante
qu’ortie ?
Je ne sais pas grand-chose des papillons qu’une de mes
amies va compter dans un pré, parfois, au printemps.
Je ne savais rien des Vulcain avant d’en voir un se poser
sur une main amicale.
C’était une fête.
Nous n’avons pas cherché à savoir si c’était de bon ou de
mauvais augure, un Vulcain sur la main.
En tout cas oiseaux et papillons (et je ne dis rien des
chauve-souris tournoyant dans la nuit tombante) occupent le terrain.
Nous chassons la douleur.
En faisant de doux gestes qui plaisent aux papillons sans
les effrayer.
Nous attirent parfois leur amitié.
Simplement.
Nous n’avons pas besoin de les compter pour être amis
avec eux.
Ce sont aussi des migrants. Ou plus exactement des migrateurs. On les laisse passer. Hirondelles et papillons n’ont pas
de papier à montrer à la frontière du ciel.
Plus nous y pensons, plus nous sommes sûrs que c’est le
même papillon revenu se poser sur la main.
Parfaitement.
Je ne sais pas si c’est vrai.
Un Vulcain ressemble à un autre Vulcain, vont dire les
sceptiques, mais nous aimons penser que c’est le même que celui qui, la veille,
est venu nous visiter.
Pouvons-nous en être certains, je n’en sais rien, mais
cette idée nous fait du bien. Chasse le chagrin.
Je ne sais pas si ce genre de rencontre a une importance
pour autre que soi.
Fred Deux avait lui aussi une amitié avec un merle.
Il en a parlé dans ses carnets et hier soir, à la radio,
il y avait, prise au piège comme dans une cage à oiseau, la voix de Pierre
Bergougnioux.
C’était difficile, l’entendre, parce que.
Je ne sais pas expliquer à part employer un mot comme
déplacé.
Je n’aimerais pas entendre la voix de Fred Deux prise au
piège dans une radio.
Je ne sais pas pourquoi. Moi qui aime écouter les voix. L’émission
sans doute trop bavarde, sur un ton animé, m’a semblé inappropriée pour
entendre la voix discrète de P.B.
Il n’y avait pas de silence pour cette voix retenue.
Pas de place pour ce retrait.
Heureusement six plumes de corneille plantées en terre se
sont rappelées à mon souvenir.
Plantées après une joie partagée dans l’herbe sèche,
devant le cimetière de Corcelles-le-Jorat.
J’ai pensé à un ami suisse, un marcheur vaudois, qui
connaît bien le cimetière des plumes et qui a écrit : si je meurs, je
serai enterré là. Il écrit aussi des lettres. Elles commencent ainsi: cher Pierre.
Que savons-nous de notre mort ?
Encore moins que de notre naissance.
Mais j’aime que Jean écrive : si je meurs.
Après tout, qui sait ?
Peut-être sera-t-il épargné ?
Enfant, je croyais être la seule qui n’allait jamais
mourir.
C’était une énorme responsabilité et il m’arrivait de
regarder ma mère avec tristesse. Elle ne savait pas qui elle avait mis au
monde.
Je ne sais pas d’où me venait cette illusion.
Ni où mon corps sera enterré.
Pas à Corcelles-le-Jorat en tout cas.
Nous n’avons pas trouvé le cimetière de Moudon où
peut-être sur une vieille pierre, le nom à demi effacé d’un de mes ancêtres est
inscrit.
J’ai aimé ce village. Les bois qui l’entourent.
Je ne sais pas pourquoi je pense aux 1600 habitants de
Pompéï qui n’ont pas trouvé de sépulture et dont on a fait des moulages au XIX°
siècle.
Ils ne savaient pas comment ils allaient mourir, enfouis
sous la cendre.
Je ne sais pas si un jour je vivrai en Suisse. Et y
mourrai.
Drôle d’idée.
En tout cas j’ai réussi à enterrer les cendres
maternelles en lisière de frontière, du côté suisse, à Divonne.
Petit exploit secret que je compte renouveler un jour à
Moudon.
Après avoir bu chez l’ami Jean une limonade.
Et avoir retracé des routes qui se croisent à l’infini.
Car hélas, ai-je écrit quelque part, tout s’arrête un
jour.
Mais ces routes poursuivent un rêve.
Je ne sais pas où il nous entraîne et pourtant nous le
suivons.
Et ça qui me poursuit comme les autres se noiera dans un
verre de limonade en compagnie des amis !
Je découvre ces jours vos poèmes qui me touchent au plus profond. Leur douce et amère simplicité, comme la Vie qui se déroule avec nos belles et sombres émotions. Merci !
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