Aller dans une ville permet de faire d’étonnantes
rencontres.
C’est une banalité.
Mais entendre et voir un homme seul jouer de la trompette
contre le rempart, porte de Ligne, dans un lieu voué au stationnement des autos
élargit un peu l’horizon des rencontres.
En tout cas, permet de comprendre que tout peut advenir.
Pas seulement le pire.
L’homme, de dos, jouait pour lui, sans aucun public, à part
moi qui passais, venant de garer ma voiture.
J’ai failli sortir mon appareil photo.
Mais on ne fixe pas ce qui s’élève légèrement dans l’air.
On l’écoute. On le laisse passer, on s’éloigne.
Et puis il y a le courrier.
Ce matin, une grosse enveloppe, pleine d’images et de textes
à propos de Robert Walser ; mon cher Jacques Brémond. Encore un peu de
Suisse qui se pose sur ma table.
On est parfois tenté de noter ce qui traverse le matin, ce
qui incite à vivre aussi. Et une lettre est un bon lieu pour le faire,
davantage peut-être qu’un journal intime.
La lettre est un courant d’air.
Une respiration entre les personnes.
Au moins deux personnes.
Je ne suis pas sûre d’écrire à une seule personne à la fois.
Moi-même, je me sens multiple, parfois. Ou Multipliée. Par la distance. Le ciel
entre les volets. Les feuilles du magnolia qui brillent.
Le papillon Vulcain n’est plus revenu.
Parti, mort, au repos ?
En tout cas disparu.
Petit détective sauvage.
Bolano en papillon?
Petit détective sauvage.
Bolano en papillon?
Je ne sais toujours pas comment nommer ce sentiment
géographique qui permet de se trouver à la fois ici et là-bas si puissamment
que même les odeurs et les
couleurs se mélangent les uns aux autres.
Une manière d’être transfuge ? De rendre féconde et mouvante
l’immobilité ?
Depuis quelques jours, je collecte des poèmes où le mot main
est présent.
Et pour une raison que j’ignore, c’est la main d’une femme,
poète et mortelle, qui vient là, interrompre ma collecte. Sa mort surtout. Une
femme que j’ai écoutée, rencontrée, vue sur un fauteuil roulant accompagnée de
son fils. Et elle savait qu’elle allait bientôt mourir et elle est morte à
présent.
Je ne sais pas ce que signifie exactement sa mort pour moi
qui la connaissais peu, mais elle va, cette mort, avec le joueur de trompette
solitaire, face au rempart. Et avec l’absence du papillon à trois pattes. Avec
nos infirmités, en quelque sorte. Mais nous restons vivants. Encore un peu. Et
d’elle, on dit maintenant : elle est morte.
Je ne sais pourquoi je ne peux écrire son nom ici. Alors je lui adresse cette lettre.
Cette femme poète, je l’avais rencontrée lors d’un festival
de poésie, en 2014 à Lodève. Et je retourne à Lodève mardi écouter le peintre
Alexandre Hollan dont nous aimons tant le travail. Ce qui est troublant, c’est
que nous portons le même prénom. Alors, pour nourrir notre mémoire de son
souvenir, j’ai cuit deux pains. Pain des vivants, pain des morts.
Je ne sais pas du tout quoi faire de ces émotions diverses.
L’ange avait l’apparence d’un trompettiste.
Une enveloppe gonflée de feuilles m'a donné l'illusion de recevoir une lettre.
De Robert Walser.
Et il y avait aussi les messages de mes amies, et c’est
pourquoi je ne pouvais aujourd’hui céder à la tristesse, tout en me demandant
encore une fois ce que c’est exactement, la mort.
Le passage d’un de mes fils a sonné joyeusement la fin de
mes activités dans l’atelier. Il était temps de passer à autre chose. Mais
quoi ? Tout se poursuit, tout le temps et puis la mort vient et on ne sait
pas ce que font les autres de vos papiers entassés, de vos dessins et de vos
projets.
Sur la table, par exemple, il y a Gherasim Luca,
« la mort étendue
au-dessus de la tête/la vie tenue à deux mains »,
Clara Régy,
« elle/boit un
café/sucré/le bol cerise/brûle/ses mains… »,
Claire Krähenbühl,
« Courir comme
toi dans la rue, la traverser, vite, vite une main battant l’air. »
Deux belles vivantes et un mort bien vivant, ça fera repas du soir,
fête de la poésie en solo, tartine à gogo et vin d’honneur comme un bras à
faire la nique à la mort. Oui, ce soir.
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