mercredi 27 avril 2016

De quatre on passe à cinq

Le poète  a écrit:
Est-ce ainsi que les hommes vivent?
Et les hommes qui n'écrivent pas savent que ce qu'ils vivent seul leur sera compté.
Et à propos de compte, commence Bosseigne.

dessin SD

Oui?

Il y a des comptes curieux. Par exemple avoir besoin de faire l'amour avec beaucoup de femmes pour se sentir vivant après la mort de sa mère.
Je ne vois pas de compte là dedans, ai-je dit à mon tour.

(Il faisait froid, du vent, toujours, et le vert avivé par les pluies de l'hiver donnait aux près une lumière intense. Nous buvions notre café du matin, Mexique, assez dru et vigoureux en bouche.)

Je parlais de la mort.
Et de la vie.
Sans oublier l'amour.
Mais de compte, je n'en vois guère.
Ecoute, reprit Bosseigne sur ce ton doctoral qu'il affectionne parfois pour mieux me convaincre. Ecoute, être orphelin est douloureux mais inévitable. L'homme dont je parle a eu besoin de quatre femmes pour compenser cette perte. Voilà pour le compte. Le même homme a trois soeurs. Plus leur mère, il y avait donc quatre femmes au foyer.

Comme j'avais l'air dubitatif, Bosseigne a asséné:
Eh bien oui, trois soeurs et une mère, ça fait quatre. Quatre femmes interdites, quatre corps interdits. Une fois la mère disparue, l'homme en question a eu besoin de quatre corps féminins. N'avait-il pas eu le désir de ses soeurs, adolescent?

Mon Bosseigne, tu as l'air bien au fait de la psychologie masculine! Et pourtant tu n'as jamais eu de soeur. Juste une parente qui a accepté de partager la maison de sa mère avec toi!
Je crois avoir compris cet homme, c'est tout. Son désir de possession alors que lui échappe le seul amour dont il n'a jamais été sûr, sa mère.
Tu le connais bien sans doute et ces histoires de comptes te fascinent.
C'est vrai. Il me semble toujours que s'y cache une clé.
La clé d'or! Quand tu dis le seul amour dont il n'a jamais été sûr, penses-tu à ta propre mère? Et n'est-on jamais sûr d'aucun amour?
Tu es pessimiste. Ma mère est morte si vite et j'étais si jeune que la question ne m'a jamais effleuré. Par contre toi!
Moi?
Si suspicieuse, si jalouse...
J'avoue que je mets en doute parfois l'amour que l'on me porte. Mais le plus souvent je n'en dis rien.
Le mien, par exemple?

Nous avons ri, moi la première, puis ensemble. Cette histoire de femmes multiples pour apaiser la perte de l'unique, je ne savais pas comment la comprendre. Ou plutôt, l'explication donnée par Bosseigne me paraissait si séduisante que justement j'hésitais à la faire mienne.

Quel âge avait ton ami quand il a perdu sa mère?
Bonne question, a répliqué mon parent. Mon âge aujourd'hui, une bonne trentaine! Au sens latin, un adolescent donc.
Et ensuite, ai-je demandé, qu'a-t-il fait de ces quatre femmes?
Oh rien, je crois. Il est revenu vers sa femme qui, du reste, ne s'est douté de rien, d'après lui.
Et d'après toi?
Une histoire qui me conforte dans le célibat, si tu vois ce que je veux dire...
Ce qui fait beaucoup de femmes dans une seule vie d'homme.
Quatre chez lui et quatre maîtresses plus une épouse, ce qui fait neuf!
Barbe-Bleue!

Nous avons encore ri, avec moins de gaieté. Presque un rire triste.
Ainsi était la vie. Faite de drôles de comptes.

Avril est un mois assez frais, finalement, pour qu'on fasse encore un feu, a conclu Bosseigne.



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