dimanche 10 février 2019

Entre liber et aubier


Entre liber et aubier,
le bois de cœur bat dans celui du marcheur


En lisant, en marchant,
en compagnie de Francis Hallé et Pierre Lieutaghi.

On dit forêt.
On ajoute parfois un adjectif.
Parce qu’il y a toute sorte de forêts.
Tropicales, amazoniennes, taïgas, fossiles.
Jeunes, vieilles.
Celles des contes où se perd une enfant.
Quelquefois deux, une fille, un garçon.
Il y en a une forêt, en Suisse, que je connais et où s’est pendu un jeune homme désespéré.
Quelquefois des hommes y travaillent, font des coupes. Sombres. Ou claires.
actions/SD


On dit aussi arbres.
Les pins sont sur terre depuis 140 millions d’années.
Pourtant un coup de vent du nord parfois les arrache à la terre.
En montant vers le Jas des pierres du Roux, il faut prendre un raccourci pour traverser une étrange forêt silencieuse quand la burle ne souffle pas.
Les pins y semblent de véritables arbres nuages qu’un jardinier japonais, sans doute invisible, est venu tailler de manière à les rendre élégants.
En réalité, la tempête.
En réalité tordus pour survivre.
Cette forêt appartient par la nature du sol, son altitude et sa situation géographique à ce que les scientifiques nomment forêt méditerranéenne.
L’adjectif compte 15 lettres et contient deux mots.
Milieu. Terre.

Je marche au milieu des terres, dans une forêt du Contadour, à cent kilomètres à vol d’oiseau de la mer. Altitude 1400 mètres.
Personne. On dirait cette forêt inhabitée. Pourtant des sentes se dessinent sur le sol, des traces de passages, et sur le chemin des empreintes de pas. Les pneus d’un gros engin a laissé des marques profondes.
Dire d’une forêt qu’elle est inhabitée est inexact.
Des chasseurs la parcourent, des forestiers l’exploitent, des troupeaux la traversent. Sans parler des animaux sauvages.
Mais au moment où je la traverse, elle est silencieuse et bruissante.
Vide de présences humaines autres que les nôtres.
Pleine de murmures légers pourtant.
Le berger Albert le savait qui a sorti son crayon noir pour inscrire sur les pierres sèches des dates et des phrases, ponctuant le silence durant plus de trente ans de sentences et déclarations, drôles et parfois désespérées.
Se quiller là-haut, surveiller les moutons, caresser son chien.
Soigner les bêtes, cuire une soupe.
Comment trouver le temps d’écrire ?
En tout cas, trouver une réponse qui soit sienne et donne de la liberté.
Devenir son propre maître grâce à un petit crayon noir.
Tout seul.
Faire d’une pierre de calcaire une page plus facile à noircir que la page d’un carnet qu’on cache dans la poche de son gilet.
Que tout le monde pourra lire.
Un jour. Plus tard.

Comme les arbres, les hommes fabriquent des capsules où loger temps et mémoire.
Parfois ils les envoient sur la lune.
Tout là-haut.
Le silence dit leur attente.
Albert est mort.
Des promeneurs viennent ici pour l’entendre, lisent ses phrases à demi-effacées, entre respect et moquerie. Certains vont jusqu’à griffonner leurs initiales ou écrire au charbon de bois des graffiti vite recouverts.

Dans la clairière, dans le beau désert, au plein soleil d’hiver glacial, me revient une phrase de l’écrivain Vila-Matas : « Quand la nuit tombe, on a toujours besoin de quelqu’un », un coup d’œil à la montre et au ciel, il est temps de rentrer.
Le paradis s’ouvre à la nuit, aucun besoin d’êtres humains.
Je ne suis pas un berger, ni une bête de la forêt.
Mais dans ma poche, il y a un crayon noir.
Il faut redescendre.
Plus bas, la forêt existe encore, entrecoupée de pâturages et de hameaux.

Avec ou sans nous.









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