Ne rien négliger, se disait le loup. (Avoir comme horizons lointains, les jardins
et le village de Frinvillier jouxtant la forêt; rester en lisière, continuer à
voir une ourse blanche égarée s'y reposer, loin de la fureur des glaces en
train de se rompre. Le soleil de décembre apaise les inquiétudes, l'ourson joue
et tout pourrait se poursuivre. )
Tout, ou presque, pense le chasseur qui les
observe. Mais la Petite rouge traverse l’espace qui les sépare et rejoint
l’homme en chasse. Il ne l’a pas vu venir, celle-là. Est surpris. Qui est-elle,
cette enfant maigre aux pieds nus, on lui a bien parlé de la fille des M., des
originaux et elle aussi si elle est leur fille, à courir les bois pour attraper
la mort. Les enfants, le chasseur le sait, n’aime pas les gens comme lui. Ils
aiment bêtement les animaux, sans se rendre compte de la nécessité de les tuer,
ces renards, loups, sangliers et lapins
qui saccagent l’espace des humains. Mais à l’école on leur raconte des
histoires idiotes. Heureusement il y a le chaperon et la petite chèvre. C’est
un chasseur comme moi qui sauve la grand-mère en tuant le loup. Faut qu’on leur
raconte encore l’histoire, souvent, ça ira mieux ensuite. Comprendront que sans
nous c’est la mort qui gagne et la peur. Il cherche des yeux les bêtes à tuer
mais ne les voit plus, à leur place, une fille.
J’y vois mal, se dit le chasseur, je voyais une
ourse blanche, alors que c’est une petite Rouge.
La Petite est sans crainte, elle explique au
chasseur que, derrière la colline, vers Romainmôtier, la Baba Yaga fait peur
aux enfants à la sortie de l’école et qu’un loup va dévorer la petite chèvre blanche
de M. Seguin.
Vous allez les faire partir? Le chasseur dit oui.
C’est loin d’ici. Mais j’irai si tu me dis qu’ils
y sont.
Ils y sont, je le sais, je les ai vus.
Je les tuerai !
Le chasseur ira, fier de son fusil et de sa
réponse.
Alors l'enfant, le Petit, l'ourson, respire.
Moi aussi, qui les regarde.
Mais pas le loup qui soudain se rend compte que
lui aussi est menacé. Je suis mort, pourtant, mais peut-être puis-je mourir
encore une fois ?
Non, dit la Petite en revenant vers lui, tu es
guéri définitivement. Viens, allons rejoindre les autres.
Tu aimes vraiment les chasseurs ?
Il fallait bien éloigner la peur. Baba Yaga te
terrorisait quand tu étais petit et moi aussi. Je ne voulais pas que le loup
mange la chèvre. Alors j’ai demandé au chasseur de les tuer. C’est simple. Et
nous voilà tranquilles pour un moment.
Tu nous as sauvés ?
Ce n’est pas le mot pour la vie que nous menons
ici, mais j’ai éloigné de nous un chasseur, un homme dangereux. Pour qu’il ne mette
pas son nez dans nos traces, qui sait ce qu’il aurait pu découvrir, un chasseur
a souvent de bons yeux ou une lunette sur son fusil, ce sont des choses que tu
as dû connaître dans ta vie antérieure. Et puis tu n’es pas un vrai loup, tu ne
l’as jamais été, c’est une peau qui cache aux yeux de ta mère et de tes frères
l’enfant qu’ils ont martyrisé, …
Quoi qu’il en soit de nous, de toi comme de moi,
je ne comprends rien ici si ce n’est le petit bruit des contes que tu fais courir là, sur la neige et sur ma peau, et je
t’en remercie, pour le reste, inutile d’aller plus loin, rejoignons les autres,
le chasseur ne tuera pas la petite renarde rusée, pas plus qu’il ne pourrait me
tuer,
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