Entre
(…)
deux,

Ils sont là-bas, à contempler le miracle
renouvelé de la sorcière transformée en renarde, relisant en un éclair les
romans d’enfance (et d’enfer), toute une étagère d’Arche de Noé à Zorro, fronçant
les sourcils dont ils n’ont plus le nom, retrouvant l’assemblée des bergers
groupés autour d’un bébé, (en finnois être humain se dit ihminen, petit
miracle, j’ai appris ça en Laponie) je revois l’autel de saint Erkembode à
saint-Omer, le saint qui fait avancer
et les petites chaussures disposées par les mères pour protéger la marche de
leurs enfants, animaux et humains pris dans l’attente et le désir du miracle
qui transforme et régénère une vieille Baba Yaga en jolie renarde, les contes
de Nasreddine, les lapins dans la garenne, le vent dans les saules, et moi,
comme je l’écris souvent, cul sur chaise, mains au clavier, en face de la fenêtre
plutôt lumineuse à cette heure, me rongeant comme eux là-bas, mais où sont-ils ?
demanderait l’enfant s’il était dans cette histoire, où ils sont, je le sais
moi, je les vois, je les sens, ils sont plantés là où je les ai laissés la
dernière fois, en cercle d’adoration moins un, figés dans la neige boueuse
parce que depuis hier je galope ailleurs que dans la forêt, occupée à glaner en
ville des informations, de la nourriture, tâches quotidiennes qu’accomplissent
les chasseurs-cueilleurs pour le bien-être de la communauté, te rongeant,
dirait encore l’enfant, mais pourquoi ? et moi, expliquant, mais non, c’est
une image, je n’en vois aucune, répondrait-il, car je le connais, ce malin, ce
rusé, ce renardeau des steppes provençales, disons que je les ai laissés en plan, mais qui ?
eux, mes beaux sauvages, cerf, chevreuil, corneille, ourson, petite-Rouge, loup
et renarde, ils ont froid et faim, alors ? demande encore le petit, oui, c’est
pourquoi je cuis un gâteau au pavot pour toi, mon oiseau, qui les aime tant,
mais eux ? eux, tu le sais, n’existent pour l’instant que là-bas, ne se
nourrissent que de nos rêves, et je doute, ce qui me ronge un peu, de la fin de
l’histoire, c’est le soleil d’hiver le responsable, faut-il courir au jardin,
poursuivre la poule blanche et la poule noire, abandonner la forêt à son sort,
et puis la Suisse est loin d’ici, le Jura et le Jorat, Venoge et Nozon, du
blabla, faudrait y être, y voir clair dans cette pagaille, et ton loup, il est
comment ? fait peur ? non, c’est lui qui a peur de ses frères, il a
peur de sa mère aussi, mais il ne fait pas peur, ce qui l’inquiète, ce qui nous
inquiète lui et moi, c’est la renarde, séduisante et rousse, si jolie à
regarder, à caresser tandis que lui, le loup, malgré sa jeunesse, il n’est pas
beau, on se sert de sa fourrure rêche et hirsute et de ses yeux rouges pour terroriser
les enfants, toi le premier, eh bien je voulais que ça change, et puis ce loup
était un jeune homme avant d’être un sauvage, comme la renarde était une
ogresse, cette Baba Yaga qui te fait si peur quand on raconte son histoire, la
question reste posée, est-ce que quand on s’éloigne les uns des autres, nous
continuons à exister pour eux, avec eux, nous en pensant à eux, eux en pensant
à nous, comment ça se passe, dis, eux là-bas dans la neige et nous, ici, au
soleil, ensemble à lire des histoires, c’est comme les méchants et les gentils ?
pour le loup, la renarde est vraiment une mauvaise créature, mais est-elle
vraiment si mauvaise, à ce point du jour, la lumière décline, il faut allumer
les lampes et ouvrir mieux les yeux, écouter ce qui est invisible en tournant
lentement les pages,
envoyé reconnu,
le nom du saint des petits pieds qui permet aux enfants de se
mettre debout et de faire un pas après l’autre son chemin,