La petite (suite)
En fait, dit la
voix, cette petite, c’est l’apparence d’elle que tes yeux humains voient, ils
te trompent sur son âge et son apparence, les yeux humains sont de faibles
instruments qui ont leur utilité puisque vous ne voyez pas ce que nous voyons,
ce qui, tu le reconnaitras, rétablit un équilibre, pour la plupart d’entre
nous, nos sens sont si développés que si un être humain en avait l’usage
quelques minutes, il succomberait sous le poids de tant d’informations, c’est
pour cette raison que vous avez inventé des machines, pour suppléer à votre
faiblesse naturelle, même si sur certains points vous nous êtes supérieurs, et
sur un de ces aspects que je veux m’arrêter aujourd’hui, en effet, vos
détracteurs les plus intransigeants vous reconnaissent quelque supériorité sur
les bêtes que nous sommes, cet enfant que tu vois, dont tu as compté les doigts
de pied, n’en tire aucune conclusion, tout au moins pour l’instant puisque tu
n’es pas encore dégagé totalement de ton impatience humaine à vouloir tout
comprendre, est en réalité une vieille
personne, ni heidi ni alice, ni chaperon d’aucune couleur, pas même fifi brin
d’acier, mais la grand-mère dont tout enfançon humain a besoin, et ça, les
bêtes que nous sommes, nous n’avons pas su l’inventer, et cette vieille dame à
qui on a arraché deux petits doigts de pied pour la punir d’on ne sait quel
crime dont elle était évidemment innocente, est passée d’un monde à l’autre et
pour quelque temps encore, elle peut retourner voir les siens sans qu’ils la
voient, ainsi elle peut veiller sur son petit, même invisible, en l’entourant
de très petites étoiles que son très jeune âge lui permet encore d’apercevoir
et ainsi de la sentir encore proche, mais moi, pourquoi est-ce que je peux la
voir sous la forme d’une petite fille, bientôt, toi aussi tu verras les humains
autrement, mais quand ? c’est si épuisant de vivre à cheval sur une frontière
qui bouge sans cesse, dans notre histoire, tout a été mouvant depuis si
longtemps, reprit la voix, dans la nôtre comme dans celle des humains, alors, prends
ton mal en patience, fais comme nous tous, regarde la neige et la nuit qui
vient, le froid devient plus vif, il est temps de te chercher un abri pour la
nuit, et l’enfant ? je ne vois déjà plus où elle est, ni ne sens sa main
sur mon dos, où est-elle ? aurais-tu oublié ses paroles, toi si avide de
mots ? la nuit vos chemins divergent et peut-être as-tu faim, guette une
proie possible pour le fauve que tu es devenu, là dessus, dit la voix, il faut que je te quitte, nous nous
retrouverons, sous une forme ou sous une autre, ici ou un peu plus loin,
hic et nunc,
le
bruit qu’entendit le loup ressemblait à l’envol d’un oiseau d’assez grande
envergure, ainsi donc, je suis seul au milieu de cette noirceur sans nom et
malgré ce qu’a dit la voix, sans appétit d’aucune sorte, à part croquer un peu
de neige gelée qui brûlera mes dents, ensuite il me faudra creuser un trou pour trouver un peu de
chaleur dans la terre et attendre que le sommeil vienne, ou la mort,
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