vendredi 3 novembre 2017

"Y a-t-il donc un mot pour l'aventure que je vivais?" Peter Handke

Cette aventure est celle de la traduction.
Lire, écrire.
Ce matin les mots de Handke résistent et m'aident à surmonter la lassitude.
Je viens d'écouter - un peu - la voix de Sylvie Brès vivante.
Elle parle de sa mort prochaine. Et moi qui l'écoute, je sais que c'est la voix d'une morte.
Je relis les mots de Sebald - mort - parlant du livre de Handke - vivant - qu'il a aimé.
Et je cherche le mot qui dirait à la fois la vie et la mort pour des écrivains comme ceux que je cite ce matin. Et sont chers à ceux qui les lisent; l'un encore en vie et les autres morts.
Cet album de photos de Kafka ramené d'Allemagne parcouru avec le plus jeune fils et lui s'étonnant de la date de sa mort, disant 1924, avant l'extermination des juifs. Il a eu de la chance de mourir dans un lit. Et il se reprend: chance, c'est beaucoup dire.
Kafka a rejoint Benjamin qui lui-même est rejoint par Milena Jesenska.
Chaînes sans fin de noms.
Retardataires me vient.
Est-ce le bon mot?

Dans cet étonnant livre de Handke, Le recommencement, la question centrale reste la bonne langue, la langue qui convient, la langue qui pour une fois ne manquerait pas son but. Les racines dont on nous farcit la tête, surtout concernant leur rattachement à la terre, ont une autre fonction dans les langues: elles disent l'histoire, les guerres, les invasions, les déplacements, migrations forcées ou volontaires. Quant aux racines de terre et de sang, elles sont un leurre. Se souvenir de Michaux. Nous ne sommes pas des betteraves pour être enracinés. Nous glissons sans cesse à la surface, patineurs épuisés et lents, d'une mémoire gelée.

"Comment peut-on exprimer en un seul vocable l'expérience de l'enfance et celle du paysage?"

Ce serait une belle question à nous poser aujourd'hui.
En français, est-ce que ça existe un mot pour l'exprimer cette expérience simultanée?
Car notre enfance est liée à un paysage, pas seulement extérieur mais intérieur, mieux, intériorisé. Et quel nom lui donner, nous l'ignorons. Nostalgie ne convient pas. Car il y a de la douleur dans le mot. Et c'est ce sentiment que le Petit a exprimé en liant la plume et l'absence. Deux questions sans réponse donc. Pour l'une j'ai proposé traduction et j'aime le vocable anglais, translation, mais je n'ai aucune solution pour le deuxième.

Et j'entends les cris de joie et de peur mêlés du Petit soulevé par son père très haut.
La langue allemande a sa réponse. Il sera temps demain de la donner.
Mais aujourd'hui, son absence me permet de vivre simultanément ici et là-bas, près de Brême, à Worpswede.
..."affamé d'aventure..."
Retardataire donc.

3 commentaires:

  1. C'est un plaisir délicat et fort en même temps de lire cette pensée qui cherche, qui serpente entre ici et là-bas, entre hier et aujourd'hui, vie et mort, entre les mots et l'innommable. Cela me parle surtout de la lecture : c'est la lecture, du texte, des choses, dites ou non dites, montrées ou même invisibles, qui compte. La manière dont notre lecture peut s'en emparer. Plus que le mot à trouver. Pour cela, l'aléatoire est souvent de mise. C'est d'ailleurs, pour le peu que j'en connaisse, un talent de Peter Handke.

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    1. Dans le livre de P.H. le narrateur est aussi le lcteur du livre de son frère, en fait une sorte de cahier dans lequel il consignait ses travaux et expériences d'étudiant en agronomie...

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