dimanche 24 janvier 2016

Appeler le matin pour qu'il vienne nous délivrer...


Aure, aurore, matin, ce sont les noms de la lumière qui interrompt l'insomnie.
Céphale courant le sanglier, appelait de ses voeux Aure.
Dans la langue du sud, l'auro, c'est le vent.
À Arles, on trouve la porte de Laure.
Confusion entre l'aimée de Pétrarque et le terrible mistral.
En fait, porte du vent où le passant est bousculé et glacé comme seulement en Provence on peut l'être.
Comme seulement ici, je peux l'être, se dit Bosseigne. Mal à la tête. Céphalées.

Ainsi Procris, ainsi la femme jalouse guettant l'homme qu'elle aime, l'entend appeler tout bas Aure, ou Aurore. Celle-là même qui avait enlevé son Céphale, cette Aurore aux longs cheveux et aux doigts de rose, cette perfide aux lèvres rouges. Une Circé, une mauvaise, une sorcière!


La mort de Procris (détail) Piero di Cosimo

Confusion entre un prénom haï et le nom du matin?
Allez savoir, pense Bosseigne sur le chemin du retour, longeant Arles et son Rhône.

Bosseigne a mal à la tête. Dort mal. Se demande quand. Ca va finir. La lune blanche a éclairé sa nuit mais ne l'a pas transformée en jour. Petit matin sale, pense-t-il encore, mais au bout de la route, la maison. Clarté précieuse du gel. Se souvient de la nouvelle de Caproni. Rêve d'un pré craquant d'herbe givrée. Du café préparé par sa parente.

Revenons à Procris qui jamais ne procréa. Pas eu le temps. Morte sur le rivage.
A cause de ce goût de la chasse de Céphale. A cause aussi de la jalousie.
A vouloir épier, on se perd, avait dit Louise Bottu en le quittant. Un peu de confiance est nécessaire pour survivre au chaos. Procris voulait-elle souffrir ou simplement contempler l'homme qu'elle aimait en cachette, tandis qu'il s'apprêtait à tirer à l'arc? Si beau, si jeune, la poitrine découverte, en pleine lumière.
Et elle, accroupie dans la broussaille tel un jeune animal apeuré?

Ce léger bruit, un froufrou, pour un chasseur, est signe de présence animale. Une bête, une proie!
Et hop le javelot part et le sein gauche de Procris le reçoit.

Bosseigne se rend compte qu'il a raté la sortie d'autoroute qui le conduit chez lui. Ce sein gauche percé tout d'un coup lui fait signe.
Céphale se rend compte de sa méprise. Il allonge sa compagne sur le sable doux et frais du rivage et Procris meurt sans un mot. Un chien les regarde. D'autres chiens jouent à se battre au bord de l'eau.

Sans chien, pense-t-il, cette histoire ne m'aurait pas tant ému.
Pourtant le motif de la méprise ou encore celui de la jalousie me retiennent aussi.
Quant à la chasse, non.
Mais, se dit encore Bosseigne, le chien veillant sa maîtresse, comme le Blond et ses regards parfois si troublants. Voilà ce qui me touche davantage.

Comme s'il avait entendu les pensées de son compagnon, le chien dressa la tête. Couché sur le siège avant passager, le Blond semblait suivre parfaitement les méandres des pensées de son maître.

Et puis il y a la sauvagerie. J'y crois plus que jamais. Me retirer aux forêts. Marges des villes et des villages. Retrait. Avec un fauteuil et un chien; sans oublier celle avec qui la vie est possible. Voilà, se dit Bosseigne, mon programme de vie. Et j'aime Piero di Cosimo pour son étrangeté; son côté abrupt et rugueux, non poli.
Son refus de la courtoisie italienne. Ma tante, songea Bosseigne, aurait employé l'expression passe brosse. Piero di Cosimo n'était pas un passe brosse.
Un autre Bosseigne.
Un sauvage amoureux des bêtes.
Ne devait pas aimer la chasse.
Mais le sang. La couleur.
Ce rouge qui brillait.

Un ami.

Bosseigne approchait de sa maison. Il eut encore le temps de penser: celui ou celle qui n'aime pas les chiens ne  sera jamais notre ami, et il souriait en garant l'auto. Le chien était aussi content que lui de ce retour. Restait à savoir si sa parente serait aussi contente que lui et le Blond.

Pourquoi ne pas avoir confiance?
Le matin était là.
Une journée presque douce.
A entreprendre.

Le portail grinça un peu.
Tout recommençait.
Oui, presque comme avant son départ.
Mais Procris était restée là-bas, morte sur le rivage et son chien près d'elle.





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