107 Ordrer la langue?
Ordrer n’est
pas ordonner.
Ou plutôt il
ne s’agit pas d’ordre à donner.
Mais plutôt
de désordre à ordonner.
Un problème
de langue. Encore un, soupira Bosseigne en contemplant la mer grise.
Il y a des
gens ordonnés et d’autres, désordres. Ou bien désordonnés ? Que doit-on
dire pour montrer que le désordre est surtout mental ?
Il leur
faudrait ranger dans des boîtes les différentes pensées qui nous accablent. Ou
les gens qu’on aime et ceux que nous détestons quand il y en a. Il existe des
armoires à linges et des bibliothèques, des placards alimentaires et des
casiers à bouteilles. Pourquoi ne pas faire la même chose dans son
esprit ? Esprit, vraiment ? Tête, cerveau, caboche, calebasse ?
Comment nommer ce réceptacle si lourd à porter et empli de confusion?
Bosseigne se
demandait si c’était la tristesse qui l’empêchait de penser avec précision. A
nommer son état présent. La rencontre de Louise avait été profitable. Mais
revenu seul vers la maison, il se rendait compte de son état mental déplorable.
Il
s’efforçait de retenir les propos échangés. Peut-être pour les mentionner dans
sa lettre à sa parente ? Qu’avait dit Louise à propos du meurtre des
prétendants ? Hygiène mentale ?
Ecrire permettait de ne plus se parler à voix haute. De cesser ce dialogue
absurde avec soi-même. Le serpent qui se mord la queue. Retenir, conserver,
réciter intérieurement, se souvenir. Bosseigne lâcha un soupir qui fit se
retourner le chien. Ici, au moins, il n’y avait aucune trace à recouvrir ni à
chercher. Seulement la mer grise, les rochers, quelques pins sur les falaises
ocres.
En face, la
ville.
De l’amour
il faut savoir se protéger.
Sa parente
aimait cette ville mais s’y rendait le moins possible.
Elle lui
avait conseillé cet endroit : d’ici tu verras la beauté de Marseille mais
pas la douleur que notre famille a portée. C’est de la voir de loin que tu
tireras un peu de soulagement.
Louise Bottu
avait raison. On ne peut affronter certains démons à visage découvert. Il faut
des masques. Des ruses. Ulysse était le bon exemple à suivre. Lui-même
n’avait-il pas fait l’acquisition d’un masque Pendé Mbangu pour éloigner le
sortilège de la Tapissière ?
Bosseigne
soupira.
Il avait
envie de rentrer.
De boire un
café en compagnie.
De cesser de
se parler à voix haute.
Il écrivit
quelques lignes pour Louise.
Fit son sac,
siffla le chien.
On rentre,
griffonna-t-il à l’intention de sa nouvelle amie.
Venez nous
voir.
On aime bien
les petits déjeuners sur la terrasse au printemps.
C’est encore
l’hiver.
Mais il faut
un peu d’espoir.
Au revoir.
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