samedi 16 janvier 2016

Ordrer la langue?


107  Ordrer la langue?

Ordrer n’est pas ordonner.
Ou plutôt il ne s’agit pas d’ordre à donner.
Mais plutôt de désordre à ordonner.

Un problème de langue. Encore un, soupira Bosseigne en contemplant la mer grise.
Il y a des gens ordonnés et d’autres, désordres. Ou bien désordonnés ? Que doit-on dire pour montrer que le désordre est surtout mental ?
Il leur faudrait ranger dans des boîtes les différentes pensées qui nous accablent. Ou les gens qu’on aime et ceux que nous détestons quand il y en a. Il existe des armoires à linges et des bibliothèques, des placards alimentaires et des casiers à bouteilles. Pourquoi ne pas faire la même chose dans son esprit ? Esprit, vraiment ? Tête, cerveau, caboche, calebasse ? Comment nommer ce réceptacle si lourd à porter et empli de confusion?



Bosseigne se demandait si c’était la tristesse qui l’empêchait de penser avec précision. A nommer son état présent. La rencontre de Louise avait été profitable. Mais revenu seul vers la maison, il se rendait compte de son état mental déplorable.

Il s’efforçait de retenir les propos échangés. Peut-être pour les mentionner dans sa lettre à sa parente ? Qu’avait dit Louise à propos du meurtre des prétendants ? Hygiène mentale ? Ecrire permettait de ne plus se parler à voix haute. De cesser ce dialogue absurde avec soi-même. Le serpent qui se mord la queue. Retenir, conserver, réciter intérieurement, se souvenir. Bosseigne lâcha un soupir qui fit se retourner le chien. Ici, au moins, il n’y avait aucune trace à recouvrir ni à chercher. Seulement la mer grise, les rochers, quelques pins sur les falaises ocres.

En face, la ville.
De l’amour il faut savoir se protéger.
Sa parente aimait cette ville mais s’y rendait le moins possible.
Elle lui avait conseillé cet endroit : d’ici tu verras la beauté de Marseille mais pas la douleur que notre famille a portée. C’est de la voir de loin que tu tireras un peu de soulagement.

Louise Bottu avait raison. On ne peut affronter certains démons à visage découvert. Il faut des masques. Des ruses. Ulysse était le bon exemple à suivre. Lui-même n’avait-il pas fait l’acquisition d’un masque Pendé Mbangu pour éloigner le sortilège de la Tapissière ?

Bosseigne soupira.
Il avait envie de rentrer.
De boire un café en compagnie.
De cesser de se parler à voix haute.
Il écrivit quelques lignes pour Louise.
Fit son sac, siffla le chien.
On rentre, griffonna-t-il à l’intention de sa nouvelle amie.
Venez nous voir.
On aime bien les petits déjeuners sur la terrasse au printemps.
C’est encore l’hiver.
Mais il faut un peu d’espoir.

Au revoir.



























Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire