mercredi 2 décembre 2015

Se réveiller triste ne permet pas de boutiquer, ni de faire cupesse dans le pré.

Est-ce qu'une cupesse se boutique, demande Bosseigne.
Boutiquer sa journée en toute sérénité, est-ce possible?
Tu ne réponds pas à la question.
C'est une histoire d'alphabet. Après le A...
Le B. comme bienveillance, bonheur, bonjour!
Et le C comme cupesse, c'est ça?
Ou cul par dessus tête?
Et encore culbute, carambole, carrosserie de hasard, les mots!
Et contentement, pour dire le paradis.
Difficile, quel désordre!
Pas la lettre D, Bosseigne, restons-en à C. Se contenter.
De peu?
Non, de ce café, du côté où nous sommes, du coin doré sur la façade des voisins ce matin.
Se cloîtrer dans le contentement de soi, en ce moment, me paraît une.
Connivence avec l'ennemi?
Une désertion.
Non, je ne crois pas. Se réveiller triste ne nous permet pas de boutiquer, ni de faire cupesse dans le pré.
Tu y reviens?
Au pré? Plus que jamais quand il est ourlé de givre comme aujourd'hui.





Là nous avons ri tous les deux.
Nous imaginant cabriolant trempés dans la fraîcheur matinale.
Et ensuite courant vers la maison et son feu.
Mais nous sommes restés assis, l'un en face de l'autre, à nous contenter de ce café colombien de première qualité.


Mais. Lectures. Rappel à l'ordre des douleurs. Ombres de nos mères. Mots de Claude Favre. Aphasies. Nuits.
"_d'une longue douleur _Pavese_et d'un long silence" (#poissons crevés_rustines)

Puis.
"Réveil traversé de frissons sans cesse renaissants. Jamais encore un tel saisissement après un rêve."
Encore Gustave Roud. Nuits blanches plus souvent qu'à mon tour. Chutes. Disparitions. Larmes.

Le sourire revient dès que certains visages en mémoire reviennent. Les cauchemars de la nuit dissipés par deux yeux noirs et un visage d'enfant rieur. Dès que Bosseigne prépare le café. Dès que l'odeur du jour comble le trou de la nuit.

Me revient cette idée de Sokorov que la peinture européenne a inventé le portrait. C'est une idée réconfortante. Avant le cinéaste russe, lecture éclairante de Lévinas. Pour Sokorov, ces visages de nobles et de rois sont en fait avant tout des visages d'humains qui n'avaient rien d'exceptionnel, des visages qui nous parlent directement. Mais n'est-ce pas le cas pour tout portait? L'Egypte, Rome nous ont donné des visages qui ont requis notre attention durablement, se sont mêlés à nos souvenirs et continuent à vivre en nous.
Il y a les portraits du Fayoum, pour moi si importants qu'au Louvre je commence toujours par là. Dans ces regards, je croise des êtres encore en vie. Des fils, des pères, des jeunes fiancées.

Et maintenant? questionne Bosseigne qui considère avec curiosité le livre orange posé près de moi.
Peut-être je te lis un peu de Khlebnikov?
Le mollah des fleurs?
Un extrait des Voix et Chants de la rue.

-Le Tsar!
Et nous!- Et nous nous nous regardons et nous    nous  regardons!
Les tsars  les tsars tremblent!
Le grand prince
Quoi? ça commence déjà?

(Il regarde sa montre)

Oui    c'est l'heure déjà!


(extraits de Claude Favre et Khlebnikov, traduction Yvan Mignot, dans la très belle revue Camion d'octobre 2012/ film Francofonia d'Alexandre Sokorov)


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