mardi 26 août 2014

Valmer était un brave chien, a dit le garagiste en me serrant la main.

J'avais écrit en guide de deuil.
On ne peut mieux dire.
Etait-ce seulement un lapsus. Je n'en savais plus rien.
Guide ou guise, les deux font la paire.
Je repensai au tombeau de l'amiral de Coligny rue de Rivoli, et à la phrase du duc de Guise.
On ne peut échapper à l'histoire en France, elle nourrit même nos rêveries intimes sur la langue, ai-je pensé en mettant le couvert pour le petit-déjeuner.
Grisaille et vent chaud.
Une fin d'été poussiéreuse et sans joie.

La veille, j'étais passée voir le garagiste pour faire changer mes quatre pneus. Et lui annoncer qu'il n'aurait plus la visite du chien noir. Il se souvenait l'avoir vu, trois semaines auparavant. Valmer. Je n'ai pas relevé son erreur. Il a repris, un brave chien, ce Valmer. Et c'était un peu comme le guide du deuil, ne rien changer, laisser l'erreur s'installer. Peut-être est-ce que ça allait aider notre chien à arpenter les plaines dorées du paradis?

De retour à la maison, je n'ai rien dit à Bosseigne, seulement préoccupé des pneus. Etaient-ils arrivés? Et puis le temps a passé et nous sommes allés nous coucher sans que j'aie cru bon de raconter la méprise de notre garagiste. A quoi bon. Le chien nous manquait assez sans évoquer une mauvaise manière de le nommer. Du reste, qu'est-ce que ça changeait à la mort du chien? Rien, c'était comme le fauteuil, ai-je encore pensé avant de sombrer en Sibérie, rejoindre Arseniev et son chien.

Au fait, ai-je commencé, le lendemain matin, tandis que mon parent s'installait à la table du déjeuner.
Oui, a-t-il fait, sans marquer un intérêt particulier.

Et je me suis tu. Par quel mot commencer: guide, Valmer ou encore fauteuil. Il a fallu parler. A un moment ou à un autre, la conversation doit s'instaurer. Et il vaut mieux démarrer du bon mot, comme d'autres du bon pied.

Oui, a-t-il repris en levant la tête de son café.
J'ai écrit à la Tapissière.
Ah? Tu ne l'avais pas déjà fait?
Oui, mais j'ai recommencé et puis...
Ca ne servira à rien, tu le sais.
Une impulsion subite. Je ne peux plus supporter cette histoire.
Ce n'est pas une histoire, a fait remarquer Bosseigne.
Justement. Je crois que je n'en peux plus de ce fauteuil, de tout ça, de ce rien qui devient une obsession.
Il y a une solution.
Oui, je sais. Acheter un autre fauteuil.
Mais non, c'est comme le chien. On ne le remplacera jamais.
Au fait, tu vas rire...
Rire, moi, au petit déjeuner? Je préfère déguster mon café avec sérieux.

collage SD
collection Contemporart
Et là nous avons ri. Tristement. Vadim nous manquait, l'été nous manquait, les mots à leur tour. Et ce satané (?) fauteuil et cette Tapissière invisible et muette. Alors nous avons dégusté notre café du matin, premier pas vers la sagesse que chaque jour rendait plus nécessaire parce que jamais nous ne parvenions à le faire suivre d'autres pas.

L'autre solution?
Bosseigne a secoué la tête. Partir. Fuir.

Ce n'est jamais honteux d'abandonner la place, m'a-t-il dit au moment où je m'apprêtais à quitter la table. C'est l'époque de l'année où tu as envie de Suisse, non, tu ne crois pas?
Oui, un voyage en Suisse sera le bienvenu. On peut y échanger des mots.
A défaut de fauteuil, a rétorqué mon parent, et j'ai compris qu'il avait une fois de plus raison.
Je suis tentée par Bienne, ai-je repris.
La ville de Walser, évidemment, ma pauvre, je lis en toi à livre ouvert...

Se moquait-il de moi ou au contraire... Parfois, mon parent me fait peur à cause de sa clairvoyance à mon égard. Un livre ouvert, oui; un livre rempli de peu de mots et de peu de noms, toujours les mêmes. Mes obsessions sont peu nombreuses. C'est sans doute le propre des obsessions, dirait Bosseigne s'il entendait mes pensées.

Oui, la Suisse te fera du bien et tu verras d'autres visages et d'autres fauteuils.
Sans doute, sans doute.
Et tu oublieras un peu Vadim. Et moi par la même occasion.
Et toi?
Eh bien, je voyagerai chez nous sans toi.

Et sans Vadim, mon Bosseigne, ai-je pensé, qui a réponse à tout. Que t'objecter à présent que tu as prononcé le nom du chien, peut-être ici conviendrait-il de te raconter comment notre garagiste l'a appellé hier, mais non, je n'ai pas la force de raconter. Au reste, est-ce que son erreur a un sens, j'en doute. Je vais réserver une chambre à Bienne et regarder l'itinéraire, ai-je dit à la place.

Une phrase juste et claire.
En guide de deuil.








4 commentaires:

  1. C'est beau, cette histoire. Cette écriture. L'un ne va pas sans l'autre. Cette écritoire, j'ai failli dire. Un désir de lapsus, peut-être, qui m'arrive, à moi maintenant. Ce que je voulais vous demander, je ne m'en souviens pas, le lapsus (guide) était il présent déjà, dans la page précédente, ou l'avez vous restitué ?

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  2. Le lapsus était déjà là. Il est d'ailleurs constitutif de l'écriture de Bosseigne. Ecritoire, oui!

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  3. "Son erreur a-t-elle un sens, j'en doute". Il n'en faut pas plus pour éveiller l'appétit de recherche d'un facteur de coïncidences. Valmer, donc, sur Google, première page de résultats : un château Renaissance, remarquable surtout par ses jardins. Sur le site officiel, on peut lire : "Suivant la tradition, Valmer aurait appartenu au Roi Charles VII. On cite Catherine de Bueil détentrice de ce fief en 1434. Par brevet du 23 juillet 1461, Jacques Binet, maître d’hôtel du Roi et de la Reine de Navarre, devint propriétaire de Valmer ; sa famille y demeura pendant environ un siècle. De cette période subsistent les douves qui enserraient la forteresse primitive, avec leur escalier d’accès en colimaçon, ainsi que la Chapelle creusée dans le rocher par Jehan Binet et consacrée le 28 novembre 1529 par l’évêque d’Autun."
    Retenons ce nom : Binet.
    Or, seconde occurrence sur Google : l'écrivain franco-suisse Binet-Valmer, plus précisément Jean Auguste Gustave Binet de Valmer, qui signe Binet-Valmer, né en 1875 à Genève, en Suisse. Rien ne signalant un lien quelconque avec le château de Valmer, mais qui sait ? Il serait issu d'une famille de réfugiés huguenots.
    Parmi ses nombreux ouvrages, je vois "Un grand français : Coligny", paru en 1927.
    Il serait impliqué dans la mise en place du tombeau du soldat inconnu sous l'arc-de-triomphe.
    Notons pour finir que le château de Valmer est bâti au-dessus de la vallée de la Brenne.
    La Brenne, la Suisse... que d'échos aux lieux aimés.
    Et si le i de la Suisse part en Brenne, nous voici bien près de Bienne.
    Et Valmer n'est pas si loin non plus de Walzer.
    J'arrête là, mais je n'oublie pas l'admirable regard de ce chien que je regrette, ma chère Sylvie, de n'avoir jamais connu.

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    1. Et nous voilà en selle sur le grand cheval de bois de l'enfance, merci à toi Patrick, de nous emmener vers la Suisse et Bienne, en passant par les yeux de Vadim et ceux de Valmer, au passage saluons le grand gisant Coligny et filons, filons, oui de Brenne en Bienne, de Valmer en Walser...Merci!!

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