dimanche 22 juin 2014

Un fauteuil à moudre comme d'autres du grain, dit Bosseigne, en guide de deuil!

J'ai réessayé.
En vain.
C'est une histoire à dormir.
Mais je n'ai pas envie d'un lit, tu le sais comme moi.
Un fauteuil dont bientôt nous n'aurons plus envie.
C'est comme les mots, ils finissent par disparaître.
Comme ceux qui les prononcent.
Tu as réessayé quoi?
Le téléphone.
Et?
Le courrier.
Et?
Rien.


A croire que la Tapissière avait levé le camp, joué la fille de l'air comme disait Giono. Disant cela, je nous ai servi le café du soir. Un Mexicain corsé.

Non. Elle est vivante.
Mais ne nous donne rien, aucune nouvelle de notre fauteuil.
Le tien.
Le nôtre, rectifie Bosseigne. Depuis que nous parlons de lui, de son absence, il te revient autant qu'à moi.
C'est son métier.
N'en rien dire? N'en rien faire?
Cent fois, pourrait-elle nous répondre.
Mais jamais elle ne répond. A se demander.
Si...?
Nous nous sommes déjà tout demandé depuis sa disparition jusqu'à celle du fauteuil.

Les chauve-souris sont sortis de leur tanière, c'était le signe que le soir arrivait sur le jardin et la ville. Depuis plusieurs jours, nous étions, mon parent et moi, dans un état d'inquiétude que l'absence du fauteuil ravivait en ce début d'été. Depuis combien d'années espérions-nous qu'il revienne? C'était un peu comme attendre un parent parti à l'étranger et dont on serait sans nouvelle. Oui, ce fauteuil était en quelque sorte un membre de la famille, un membre de nos corps aussi, ses bras nous manquaient, sa chaleur, son accueillante présence nous manquaient. Nous étions orphelins d'un fauteuil familial! C'était ridicule et pourtant bien réel et nous éprouvions chaque matin et chaque soir son absence comme une énigme impossible à résoudre. C'était épuisant.

Je suis fatigué, a dit Bosseigne en s'extrayant de sa chaise pliante.
Tu vas dormir?
Non, comment veux-tu, non.
Tu as du travail encore?
Oui, mais je ne vais rien faire de ce que je dois faire. Lire peut-être.
Je me demande si.
Il existe un roman sur un fauteuil?
Non, je me demandais si en allant chez la Tapissière, sans la prévenir, comme ça, pour la surprendre.
Eh bien?
Le fauteuil dans son atelier peut-être, là, en attente.
Mais non, m'interrompit mon parent agacé, mais non. Ce fauteuil n'existe plus, ne doit plus exister, doit avoir disparu, a brûlé, est devenu invisible, tout ce que tu peux imaginer, mais non, jamais tu ne reverras le fauteuil de ta mère, mets-toi bien ça dans le crâne.

Et Bosseigne m'a plantée là, visiblement exaspéré et moi, tout à coup comprenant qu'il avait raison, j'ai fondu en larmes et c'était tout à coup comme effacer sur son téléphone le numéro d'une personne chère, en l'occurrence celui de ma mère que j'avais conservé des années, voilà, ai-je pensé, c'est fini, mon parent a raison, c'en est fait de ce fichu fauteuil maternel, et je pleurais à la fois sur la mort de ma mère, sur mon incapacité à aller chercher l'urne contenant ses cendres et sur son fauteuil dont nous étions sans nouvelle depuis maintenant quatre ans.

Demain, ai-je pensé, je porterais une petite robe noire en signe de deuil.
Bosseigne comprendrait.
Et puis ce serait tout.
Oui, de ce rien naîtrait un tout.
Peut-être.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire