vendredi 14 février 2014

Pour répondre à une question sur Bascoulard

Bascoulard n'avait aucune famille. Sa mère avait tué son père. Il ne se maria jamais. Eut des chats. Travailla sans relâche. Pour dévorer le temps, l'absence, n'aimant rien tant que l'hiver, jambes nues dans ses bottes. Il apprit le russe et le suédois, cartographie et couture. Il se fit fabriquer un étrange tricycle dont il avait dessiné les plans. Sa vie ne ressembla à aucune autre. Il mourut assassiné. Et je ne sais pas pourquoi je m'attache à ses pas

Voilà ce que j'ai répondu à Bosseigne hier soir qui me demandait pour la énième fois pourquoi. Puis je me suis enfermée dans ma chambre. Nuit, pleine lune.

Il y a des choses, on ne se les explique pas. On les fait. Comme acheter cette photo.  Une image de plus, de moins? En tout cas qui n'éclaire rien, n'apporte aucune réponse. Mais qui se tient debout, appuyé au mur, sur mon bureau.

Bosseigne s'agace de mes manies.
Mais il en a, lui aussi. Plus invisibles que les miennes. 
Je suis de mauvaise humeur. A mon tour.
Je ne voudrais plus des nuits, mais seulement des journées, longues, sans fin, de ces journées nordiques où le jour et la nuit se confondent.


Dessins SD

Je n'ai pas fait de café, ni mis de pain à griller.
Ce matin je vis comme Bascoulard, dans le rien absolu.
Ou presque.
Mon parent et moi possédons ensemble cette maison, héritée de notre famille en fuite pour que nous cessions de traverser trop vite le monde.
Bascoulard vivait dans une cabine, cabane de guingois.
Cabine de camion, cabane de jardin à l'abandon.
Bosseigne et moi partageons une famille et une maison. 
Mais nous avons de nombreux différends.
Et ce matin je n'ai pas envie de partager un début de journée dans la bonne odeur du café et du pain.
A vrai dire, le dénuement de Bascoulard m'atteint comme une maladie, de plein fouet.
Si Bosseigne m'entend penser, il va me questionner sur l'emploi de cette expression.
Je ne le supporterais pas. Tant de questions. 
La vie de cet homme errant et en même temps immobile rend la nôtre désespérément pathétique.
Notre belle existence bien réglée.
Où seul manque un fauteuil.

On se rattrape comme on peut, dit Bosseigne en entrant dans la cuisine.
Je vais faire le café, ajoute-t-il. Tu as mal dormi.

Ce n'est pas une question. Mon parent voit clair dans mon jeu. Je suis un peu ridicule, je le sais.
Mais Bosseigne ne prononce pas de paroles blessantes, ne me plaint pas, sachant à l'évidence que ce n'est pas ce que j'attends de lui.

Tu veux du pain grillé, je vais en faire pour nous deux. 

L'odeur chasse ma peine. Mais quelle peine, quel chagrin?
Ne suis-je pas en compagnie?
Un parent, presqu'un frère, un ami.
Il fait bon et nous avons à manger.
L'hiver n'entre pas ici. 
J'ai des chaussettes aux pieds et tout va mieux aller dès que Bosseigne aura servi, dans les jolies tasses bleues rapportées du Portugal, le café que j'ai ramené du torréfacteur.

Pourtant ce Bascoulard.
Bois ton café tant qu'il est chaud et assieds-toi.
On ne doit pas boire son café debout, souviens-toi.

Bosseigne a une fois de plus le dernier mot.
Ma mère, toujours, disait cette phrase:
on doit boire son café assis et le déguster.

Ils ont gagné, je me suis assise et la journée a pu commencer.




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