dimanche 9 février 2014

Beauté des bottés?


Mon cher Bosseigne, ai-je eu envie de commencer, mais on n'écrit pas une lettre à la personne avec qui on vit.
Et on ne s'adresse pas à elle, après une nuit passée dans la même maison, celle héritée de nos parents, de cette manière en se mettant à table pour prendre le petit déjeuner.
Mon cher Bosseigne.
Ce serait ridicule.
Et mon parent se demanderait ce qui m'arrive.
Soleil ce matin, après tempête nocturne.
Tempestade.

Le café est trop léger pour entreprendre une telle aventure, ai-je pensé en reposant la tasse bleue achetée à Lisbonne.
Quelle origine, a marmonné Bosseigne, visiblement contrarié par la qualité du breuvage.
Un mélange, ai-je avoué, trop doux. N'ai pas eu le temps (l'envie!) de passer chez le torréfacteur acheter notre café du Mexique.
Mis trop d'eau, non? Va pas nous mettre en train...
C'est dimanche, ai-je soupiré, en guise d'excuse. Mais j'ai du grain à moudre, si tu veux.
Tu en as acheté?

J'ai ri; non, non, c'est une manière de parler. Comme chez les Tchouktches du Détroit de Béring.
Nous voilà loin du Mexique, s'est exclamé mon parent, sur un ton d'agacement prononcé.
Eh bien, parlons-en, ai-je dit, enthousiaste.
On ne peut rien refuser à une femme qui vous fait un café, même mauvais, pour commencer la journée.
Femme, justement. Les Tchouktches ne se nomment pas ainsi, mais vrais hommes, soit Lygorevetlat. Et ils distinguent une prononciation pour les hommes et une spécifique au parler féminin. C'est très étonnant et en même temps, il ne s'agit pas de l'accord dû au genre, mais d'autre chose encore. Aujourd'hui, et sans doute sous l'influence des russes, leur mode de vie et leur langue, le "parler féminin" est en partie abandonné.
Effectivement, c'est curieux.
Oui et ça rejoint certaines des questions que je me pose depuis longtemps sur la voix. Puisqu'ici il s'agit bien de prononcer les mots à la façon des femmes.
Y a-t-il une façon féminine de parler français?
C'est ce qu'on pourrait se demander. Mais non.
Non?
Nous n'avons pas une prononciation pour dire tel ou tel mot comme morse par exemple. Les Tchoukches hommes disent ryrke et les femmes tsytse. Elles remplacent le phonème r par s ou ts.
Du coup le morse n'a pas le même goût!
C'est sans doute une des raisons qui expliquent que les Tchoukches ne le mangent pas.
Nous avons ri. Enfin. La langue délivre de bien curieuses leçons, ai-je pensé. Et nous revenons toujours vers la table, là où à la fois nous écrivons et mangeons.

Quant aux Lapons, ai-je repris, leur nom est Saames et signifie aussi les vrais hommes, de l'ouest à l'est, de la Norvège à la mer de Barents.
Oui? a questionné mon parent surpris.
La toundra est une table où le renne se déguste et parfois rend addict celui qui le consomme. La langue saami existe-t-elle, ai-je murmuré. Et la fascination pour la mort de l'animal.
Quignard, a demandé mon parent.

Le téléphone a sonné.
C'est une amie, ils sont partis empoissonner leur étang, ai-je annoncé.
Bosseigne me regarde surpris.
Ai-je mal prononcé? Est-ce qu'une prononciation féminine m'aurait fait dire empoisonner?
Nous rions. Encore.
Mon amie m'a dit que les bottés les avaient arrêtés sur le chemin du retour.
Comprends rien, a marmonné Bosseigne.
Moi non plus. Alors j'ai posé la question, quoi, la beauté du paysage vous a arrêtés ? A son tour de rire. Mais non, les bottes des policiers! Les "bottés", tu vois?

La langue, plus d'un tour dans son sac.
Poisson dans la bouche de l'étang.
Coup de vent, la nappe du dimanche envolée.
Nuage posé sur l'herbe.
La journée a commencé.


1 commentaire:

  1. Pour ce qui est de la beauté des bottés, chère Sylvie, le point d'interrogation me paraît plus que justifié (commentaire au débotté).

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