lundi 1 août 2016

Bienveillante, bonne, belle lettre. Bienne, Berne, Bâle. Ni père, ni mère.

Ceux qui vivent, ce sont qui luttent. Hugo.
Et Rimbaud, vivre, c'est lutter.
On ne résiste pas, on lutte, disaient les ouvriers qui occupaient les usines d'autrefois. Toujours.
Pourquoi est-ce que ce mot t'agace?
Un verbe qui ne passe plus par la langue, peut-être.
Ni par la bouche.
Qui te met de mauvaise, de pire, de méchante, mais tu ne résistes pas au plaisir de.
Non, je me demande si ce verbe est approprié.
Tu coupes les mots en quatre. De spaghetti, ils deviennent vermicelli.
Ce sont les mots qui nous découpent, pas nous qui les découpons.



Bosseigne grogne. Je me tais. Le vent passe entre nous. Mon parent ne s'avoue pas vaincu.

Tu refuses le verbe résister au nom du dictionnaire?
Comme debout.
Les assis, c'est pourtant un poème de Rimbaud?
Joe Bousquet est resté allongé une partie de sa vie. Est-ce qu'il était pour autant un allongé?
Tu veux dire que.
On peut être debout et résister seulement à l'attraction terrestre.
Ce n'est pas très clair. Tu deviendrais réactionnaire que tu ne m'étonnerais pas...
En réaction, oui. Et puis le sens des mots. Et aussi la bouche médiatique. On s'en remplit.
Je n'y résiste pas.

Walser couché dans la neige. Mourir debout à la guerre.
En vrac, des images. Le tambour d'Arcole, Bonaparte, Hitler debout face à la foule debout.
Tu y vas fort. Les orateurs sont toujours debout.
La plupart des gens de Nice sont morts écrasés au sol, couchés, atterrés.
Tian Anmen?

Est-ce qu'on résiste à une séparation, à la mort? ai-je repris après un silence.
Et comment y résister? ai-je ajouté.
À un malade condamné, des bien portants conseillent de résister.
Ou lui déclarent qu'il lui faut du courage et de la dignité.

Tu es de mauvaise foi/humeur. Je n'en sais rien mais tu files ta laine noire.
Je préfère la maladie à la bonne santé d'une certaine littérature.
Je préfère.
Tu préfères.
Lire Walser.
Continuer à le suivre.
À poursuivre.
À t'enferrer plutôt.
M'enfermer dans un livre et brigander.

Encore la lettre B!
Brocarder aussi.
Bâle, Berne et enfin (enfer?) Bienne?
Étudier sérieusement pourquoi trois villes suisses importantes commencent toutes par la même lettre débonnaire. Bienveillante, bonne, belle lettre. Balle, berne et bienne, féminin de bien. Tous mots que la bouche francophone ne peine pas à dire.
Pourquoi une telle interrogation?
À cause du Brigand et de son brigandage loin de Berlin. Et de son errance naturelle et aussi de son élégance et aussi de ses chapeaux en forme d'infini.


Quand tu veux couper l'herbe sous les pieds, tu sors la lettre B, c'est ça? rattaque mon parent.
Et l'île aussi sur le lac de Bienne et Rousseau herborisant, mon cher Bosseigne!
Un fauteuil en guise de bateau?
Pour rejoindre l'île saint-Pierre, il y a une route, et nos pieds.
Comme pour longer le lac d'Yverdon, des vernes.
Ne mélange pas tout, Bosseigne. Nous restons à Bienne.
Pour l'instant, aujourd'hui, premier jour d'août, nous sommes dans notre jardin à écouter le vent plier les arbres à sa guise. À nous demander qui va se lever pour faire le café.
Italien, cette fois et ce sera moi qui le ferai, ai-je déclaré en me levant.

Et ce qu'il y a en dessous des mots? demande encore mon parent.
Mais moi, trop loin, partie vers la cuisine, n'entends plus.
Que le vent.
Et me dis que seul le vent.
Peut conclure.
Une conversation mal engagée.

Ce qu'il y a dans un arbre, c'est le mouvement.
Je crie cette phrase courte à Bosseigne.
Mais le café crache sur le gaz sa vapeur.
Et je repense à cette expression de Robert:
 "Moi, je représente le beau malheur".
Elle convient au vent, au café et à ma détestation du verbe résister.
Et au matin qu'il faut goûter.

Je pose la cafetière et les deux tasses sur la table, attrape le Brigand et lis à mon parent:
" Il avait été on peut dire longtemps mort. Ses amis le plaignaient et se plaignaient eux-mêmes d'avoir à se plaindre de lui. Ainsi donc quelque chose en lui s'était éveillé, comme si c'était le matin qui se levait."









2 commentaires:

  1. Bonjour Sylvie,
    "Tu es de mauvaise foi/humeur. Je n'en sais rien mais tu files ta laine noire."
    Hier, lisant ce billet, j'avais été frappé par cette image.
    Et puis j'ai commencé un peu plus tard la lecture de Coeur des ténèbres de Joseph Conrad.
    Et je lus cette phrase : "Deux femmes, l'une grasse et l'autre maigre, étaient assises sur des chaises de paille et tricotaient de la laine noire." Laine noire qui revient un peu plus loin : "Ave ! Vieille tricoteuse de laine noire. Morituri te salutant."
    La coïncidence m'étonna bien sûr, puis je pensai que cette image était peut-être chez toi une réminiscence de la lecture de Conrad. Mais même si cela était, il resterait cette synchronicité des lectures.
    Ces deux femmes, dit Marlow, sont les gardiennes de la porte des Ténèbres.

    RépondreSupprimer
  2. Je ne t'avais pas répondu mais toujours comme tu dis cette étonnante synchronicité...

    RépondreSupprimer