Lorsque nous recevons une lettre recommandée, les
gens comme nous éprouvent toujours un petit frisson d’inquiétude.
Eternellement convaincus de leur petitesse et
surtout de leurs manquements, ils sont évidemment persuadés d’avoir une fois de
plus failli de quelque manière à l’ordre des choses.
Les occasions ne manquent pas.
L’Etat, ce père omniscient et terrible, ne
pourrait-il nous reprocher d’avoir vendu une de nos traductions ou un de nos
dessins sans le lui avoir notifié clairement ?
Il est vrai que nous les offrons le plus
souvent de bonne grâce. Mais de temps en temps, l’attrait d’un peu d’argent
nous tente. Nous sommes faibles. Et pauvres.
Peut-être notre véhicule, trop ancien, a
suscité l’ire de quelque honnête gardien de l’air pur ?
Ou notre vitesse a-t-elle excédé le seuil
tolérable ?
Pourtant nous avons pour habitude la lenteur
plutôt que la rapidité, l’absence plutôt que la présence. Certains nous l’ont
reproché.
Qui d’autre pourrait donc nous envoyer une
lettre recommandée ?
Un créancier ?
Nos dettes sont immenses mais ne se monnaient
guère.
Et qui irait nous demander de l’argent à nous
qui possédons seulement un toit ?
Alors nous rêvons à d’autres motifs :
pourquoi pas un contrat de traduction ? Ou de publication ? Il nous
en arrive d’en recevoir mais jamais, il est vrai, sous cette forme un peu
inquiétante.
Les lettres d’amour si elles sont désirées et
donc recommandables, ne sont jamais des envois recommandés avec accusé de
réception.
Nous n’avons pas de raison d’en recevoir.
Et puis qui ?
Un admirateur ou une admiratrice
secrets ?
La vérité est généralement moins
divertissante, nous le savons d’expérience.
Alors ?
Nous ouvrons la lettre.
On nous tutoie.
On nous somme.
Il nous faut obtempérer.
Remain
or leave.
Mais qui sommes-nous donc pour que tant
d’autorité nous menace ?
Partir ou rester ?
Nous choisissons en riant la solution qui
convient aux éternels fugitifs.
Il ne sera pas dit que ce ton comminatoire
nous impressionne.
Et ce nous n’est que le signe absolu de notre
invisibilité tant décriée par la personne qui a écrit cette lettre injonctive
et désagréable et qui, sans nous connaître, se permet de nous tutoyer.
C’est dit.
Pas une minute de plus nous resterons dans
cette maison.
Pas de place, pas de place, crie la Reine de Cœur.
Nous nous éloignerons, filant au pays
invisible et tant aimé de Robert Walser, Gustave Roud, Louis Soutter, Corinna
Bille et Aloyse.
Fous avec les fous.
Alice avec les Alice et autre Virginia.
Que les sages restent entre eux.
Et hop, pirouette sur la route, nous voilà
repartis, humant le bon air de liberté que tout chemin offre à ceux qui
s’aventurent.
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