lundi 4 juillet 2016

De l’usage abusif des lettres recommandées : petite prose en hommage à Robert Walser



Lorsque nous recevons une lettre recommandée, les gens comme nous éprouvent toujours un petit frisson d’inquiétude.
Eternellement convaincus de leur petitesse et surtout de leurs manquements, ils sont évidemment persuadés d’avoir une fois de plus failli de quelque manière à l’ordre des choses.
Les occasions ne manquent pas.

L’Etat, ce père omniscient et terrible, ne pourrait-il nous reprocher d’avoir vendu une de nos traductions ou un de nos dessins sans le lui avoir notifié clairement ?
Il est vrai que nous les offrons le plus souvent de bonne grâce. Mais de temps en temps, l’attrait d’un peu d’argent nous tente. Nous sommes faibles. Et pauvres.
Peut-être notre véhicule, trop ancien, a suscité l’ire de quelque honnête gardien de l’air pur ?
Ou notre vitesse a-t-elle excédé le seuil tolérable ?
Pourtant nous avons pour habitude la lenteur plutôt que la rapidité, l’absence plutôt que la présence. Certains nous l’ont reproché.

Qui d’autre pourrait donc nous envoyer une lettre recommandée ?
Un créancier ?
Nos dettes sont immenses mais ne se monnaient guère.
Et qui irait nous demander de l’argent à nous qui possédons seulement un toit ?

Alors nous rêvons à d’autres motifs : pourquoi pas un contrat de traduction ? Ou de publication ? Il nous en arrive d’en recevoir mais jamais, il est vrai, sous cette forme un peu inquiétante.



Les lettres d’amour si elles sont désirées et donc recommandables, ne sont jamais des envois recommandés avec accusé de réception.
Nous n’avons pas de raison d’en recevoir.
Et puis qui ?
Un admirateur ou une admiratrice secrets ?
La vérité est généralement moins divertissante, nous le savons d’expérience.

Alors ?

Nous ouvrons la lettre.
On nous tutoie.
On nous somme.
Il nous faut obtempérer.
Remain or leave.

Mais qui sommes-nous donc pour que tant d’autorité nous menace ?
Partir ou rester ?
Nous choisissons en riant la solution qui convient aux éternels fugitifs.
Il ne sera pas dit que ce ton comminatoire nous impressionne.

Et ce nous n’est que le signe absolu de notre invisibilité tant décriée par la personne qui a écrit cette lettre injonctive et désagréable et qui, sans nous connaître, se permet de nous tutoyer.

C’est dit.
Pas une minute de plus nous resterons dans cette maison.
Pas de place, pas de place, crie la Reine de Cœur.

Nous nous éloignerons, filant au pays invisible et tant aimé de Robert Walser, Gustave Roud, Louis Soutter, Corinna Bille et Aloyse.
Fous avec les fous.
Alice avec les Alice et autre Virginia.
Que les sages restent entre eux.
Et hop, pirouette sur la route, nous voilà repartis, humant le bon air de liberté que tout chemin offre à ceux qui s’aventurent.



 







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