lundi 27 avril 2015

Une tête rudement mise à l'épreuve...

Toi, tu as une tête à boire du vin rouge.
Et toi?
Une tête à boire du rosé, c'est simple.

Bosseigne a levé le nez de son livre. Un livre au titre sans majuscules, un livre qui s'attardait sur une rue de Paris, sur la Syrie et Robert Walser.

Ton écrivain espagnol aurait pu écrire ça, non? Ou encore:
Il avait un jardin, juste pour y aller. Boire un coup en cachette. En faisant croire au jardinage.

Où tu as entendu ça?

(J'avais été frappée par certaines coïncidences avec l'actualité du moment lorsque mon parent choisissait de me lire certains passages du livre qu'il lisait. Nous avions repris nos habitudes. Tout devenait si éprouvant en ce sens qu'il me semblait que nous éprouvions avec de plus en plus d'intensité ce qui arrivait, de la fleur de ciste aux tremblements de terre, des naufrages de migrants aux intempéries, tout était mise à l'épreuve de nos certitudes, de  notre établissement en cette ville jusqu'à cette maison léguée par ma mère, nos travaux et nos plaisirs.)

J'ai entendu ces phrases au café. Un monsieur plus tout jeune et sa compagne. Il avait l'air, lui, de beaucoup s'amuser. Elle, je ne sais pas. elle l'écoutait. Apparemment, ils étaient en voyage et faisaient une halte.

Tu te mets aux brèves de comptoir?
Rien de vulgaire là dedans. C'est le langage, le monde réel, la mise à l'épreuve de ce que nous sommes.

Bosseigne ne m'a pas répondu tout de suite. Il a regardé son livre ouvert. Il en avait presque lu les trois quarts. Puis il a dit:

Boire du rosé, ce n'est pas la preuve du bon goût en manière oenologique.

Aucun rapport..., ai-je commencé, mais rapidement j'ai vu où mon parent voulait aller. Pas la force de guerroyer avec lui si tôt le matin et avec cette pluie qui venait ruiner mon désir de jardinage. Alors, pour écarter Bosseigne d'un chemin jugé dangereux, je lui ai proposé de me lire une phrase du passage qu'il était en train de lire.

" La lune de miel entre la Syrie et la France a pris fin, concluait Le Monde."

Quand a été écrit ton livre?

En 2005, traduit en 2006, a répondu sur un ton très sérieux mon parent, après avoir consulté son exemplaire du livre au titre sans majuscules.

Eh bien, rien ne change alors dix ans plus tard, ai-je conclu. Une chose reste constante, nous lisons encore. Mais il semble que là, tout change, au contraire. De moins en moins de temps à consacrer à la lecture.

De moins en moins de temps à accepter la solitude comme une entrée ou un retour en soi-même.
A soupiré Bosseigne.

Restent les petites joies. Ce chien, ai-je dit, en montrant le Blond vautré à nos pieds qui ronflait d'aise. Pour lui aucune mauvaise nouvelle. La mort en mer ne le concernait pas. Son univers démarrait à notre réveil et s'achevait à notre coucher.
Est-ce que nous devenons des rabat-joie à remâcher notre amertume, toi et moi? Mais je n'ai pas prononcé ces mots. La vérité est que nous ne savons rien de ce qui arrive et n'arrive pas. Des bribes seulement. C'est le moment que choisit le chat pour sauter sur la table et interrompre mes ressassements. Il avait faim. De notre attention, de nourriture et de légèreté aussi.

Je me souviens d'une phrase de Jankélevitch à propos de l'amour, ai-je dit à mon compagnon, à nouveau plongé dans la lecture.

L'amour est un état contradictoire a-t-il écrit. La vie aussi, non? On aime les chiens et on est chasseur, par exemple. Ou on aime les oiseaux et on a des amis qui les redoutent.
Je lis, a marmonné Bosseigne. Tu es fatigante avec tes questions. Surtout pour citer des évidences. Ton philosophe est comme mon écrivain.
Espagnol? Pas du tout!
Non, il cherche à rendre compte du réel mais nous cherchons tous. Qui le lit encore? Et puis que je sache, tu n'as jamais chassé. Alors laisse-moi tranquille pour l'instant.

Notre lune de miel pouvait reprendre son cours.
En tout cas, c'est ce que j'ai eu envie de croire.
J'avais tout de même au moins deux amis chasseurs.
Mais je n'en ai pas fait état.
La pluie a redoublé.
Et à mon tour j'ai pris un livre. Un auteur hongrois.
Des nouvelles.
Le traducteur kleptomane.
Les premières lignes sont un régal:
"Nous parlions de poètes et d'écrivains, d'anciens amis qui avaient commencé la route avec nous, jadis, ils étaient restés en arrière et leur trace s'était perdue...."
Mais je n'en ai pas fait état à haute voix, laissant mon parent au silence retrouvé et me suis à mon tour immergé dans la solitude.
Jusqu'à.









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