mercredi 11 juin 2014

Un fauteuil en héritage? Un fauteuil en langue maternelle!

Cette histoire de fauteuil, reprend Bosseigne.
Oui, reprenons-en un peu.
Je ne te parle pas du café, excellent d'ailleurs.
Ni du pain.
Non, c'est exact. Mais de ce fauteuil qui, l'été revenant, agace sérieusement.
Les dents, comme un citron vert, une prune acide?
La mémoire, chère cousine, la mémoire.


Nous nous sommes tus. Cette histoire, la nôtre. Un fauteuil, héritage de ma mère, une maison. Depuis que le fauteuil avait quitté la maison, nous espérions en vain son retour. Au point de. Passer notre temps du matin à parler sa langue. La langue du fauteuil disparu.

Lorsque je dis histoire, ça veut dire que je n'en veux plus! s'est exclamé mon parent.
Du fauteuil?
Je l'aimais d'enfance comme nous le savons, toi et moi et c'est pourquoi.
Ma mère te l'a légué. Je sais.
Aussi plus de patience, de la colère, du ressentiment et puis de l'agacement jusqu'à détester même l'idée du fauteuil.
Tu n'en veux plus, ai-je demandé à mon parent, manifestement très en colère.
Je ne veux plus que ce soit une histoire, je veux le fauteuil sans l'histoire, tout de suite.
Tu sais bien que.
Je ne sais rien, justement. La Tapissière est-elle encore vivante? Parfois je me le demande. Qui oserait faire ainsi durer l'histoire si ce n'est un mort?

Mon parent y allait fort. Nous savions, lui et moi, que la Tapissière était vivante, malgré son silence. Des amis l'avaient vue. Lui avaient même parlé. Le mystère du fauteuil, s'il avait peuplé nos imaginations, était à présent une pierre lourde à porter. Nous n'en voulions plus. Nous voulions récupérer notre bien. Le fauteuil dont Bosseigne était l'héritier. Mais comment recouvrer le fauteuil sans réveiller la Tapissière qui le gardait au secret depuis si longtemps que nous étions incapables de dire depuis combien de temps elle l'avait chez elle? C'était au début intrigant et presque drôle. Nous avions émis une série d'hypothèses et puis le temps passant, il nous arrivait d'oublier le sort de ce fauteuil maternel tant désiré, et soudain, à l'occasion d'un hasard, une image, un tableau, la représentation d'un fauteuil qui ressemblait au nôtre, notre impatience grandissait, nous téléphonions dans le vide et la litanie de nos craintes revenait: fauteuil tel une faute, fauteuil vendu, brûlé, que sais-je. Bosseigne s'impatientait, criait presque de colère et moi, impuissante, je saisissais le téléphone en sachant que cette fois encore la tapissière ne répondrait pas.

Voilà où nous en étions en ce début d'été.
Comme l'année précédente.
Et celle d'avant.
Bosseigne avait brillamment soutenu sa thèse.
Sans son fauteuil. La Tapissière pensait que nous l'avions oublié. Ou l'espérait. Mais nos lettres et nos appels auraient dû lui montrer notre désir de le récupérer.
Cette énigme avait un goût déplaisant.
Certains de nos amis, au courant de l'histoire, nous questionnaient: alors, le fauteuil, où en êtes-vous?
Au même point.
Depuis si longtemps?
Oui.
Heureusement quelques voyages nous avaient divertis et l'excursion prochaine sur le lac de Bienne.
Vraiment?
Eh bien, je ne sais pas. De temps en temps, une furieuse envie d'en découdre.
Avec la Tapissière?
Oui, et le fauteuil.
Un trésor peut-être était caché dedans et.
Qu'importe le trésor, c'est du fauteuil que nous parlons, depuis ce velours usé et maternel, dont le tissu devait être remplacé et les ressorts aussi. Puis rien du tout.
Un fauteuil ne donne aucune nouvelle.
Il parlait la langue maternelle, la langue du vieux temps de Marseille, de mon grand-père le mince, de mon arrière-grand-père le moustachu.
Une langue de sans patrie. Notre seul bien.

Nous nous sommes à nouveau arrêtés. De manger, de parler, de boire du café.
Il nous manquerait encore longtemps un fauteuil.
Qui nous le rendrait?









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