lundi 22 avril 2013

"Car/ pour peu de choses/était désaccordée, comme par la neige/la cloche...


la toilette

Ce que je découvre en lisant le journal de Philippe Jacottet (Taches de soleil, ou d'ombre, Le Bruit du Temps), c'est combien tenir compte/le compte de ce qui arrive de petit comme de plus grand réenchante le présent de celui qui le re-découvre.
Et voilà que je me décide à observer une sorte de discipline que m'avait enseignée la résidence de Rennes (et surtout la chère Françoise Bauduin). En me demandant de tenir le blog de la résidence, elle savait que mon travail d'écriture en serait nourri, que ma quête d'images me donnerait envie de parcourir le quartier du canal st Martin et la ville, que ma recherche de la patrie exacte et portative se ferait ainsi au jour le jour puisque le journal, c'est d'abord se plier au temps, lui donner sa place et ici, sur un blog, c'est voir s'inscrire la date en haut à gauche, comme pour rassurer celui qui le tient que, oui, le temps existe.
Et lire a de quoi éveiller le désir.
Tous les matins, ouvrant les yeux sur le calme de la chambre, la question se pose: si je suis en vie, ai-je encore envie (de vivre, d'écrire, de marcher, de manger etc...)?
Et jusqu'à maintenant, la réponse est oui, après avoir fait doucement le tour de ce qui est sur les murs, la grande vague verte et marine de la toile d'Henri Darasse, le papillon de Kerstin Tillberg, le rideau blanc que le vent agite, les photos des enfants, tout invite à vivre encore.
Parfois pourtant, et surtout le soir, l'écoeurement guette. Trop de livres, trop de poètes, trop. Comme si la certitude venait de n'être pas en mesure. Ni de lire et d'aimer, ni surtout de retenir les mots, à part ici et là une image, la pomme verte sur la table de la mort de Zrika, la neige qui touche la cloche et la fausse, évoquée par Jacottet dans le poème d'Holderlin, quelques mots d'Edith Azam,dont ce titre dernier, Décembre m'a cigüe. Bizarrement certains tableaux restent présents, obstinément, l'Idiot de Soutine par exemple que l'on peut voir (que je peux voir, mais y vais-je si souvent? Non...) au musée Calvet d'Avignon. Peut-être, en ce cas plus précisément, l'image est si terriblement présente parce que je l'ai aussi reproduite, prise en photo et regardée tant de fois...
Lisant Jacottet, je vois aussi l'immense distance entre une écriture narcissique et ces réflexions passionnantes. Et une inquiétude vient aussi, à se demander alors pourquoi tenir un blog, journal abâtardi que permet la modernité, dont la lecture est partagée, à la différence des écrits de Jacottet qu'il vient de décider de rendre publics, après les avoir relus et revus.
Car il y a
là de quoi
s'interroger.
Ce qui m'a mise sur la voie, c'est le visage de Djokhar, sa jeunesse, sa chevelure, ses yeux. Il m'a semblé voir un fils. Avant tout, c'est un fils que j'ai vu à la une des quotidiens. Un fils et un frère. Mes enfants sont des fils et des frères.
Et l'écriture de Jacottet a fait le reste. A quoi bon écrire si ce n'est pour mettre en relation ce qui semble ne pas en avoir?
Et l'évocation du poème de  Malherbe a renforcé ma décision. Mais aussi celui de Machrab, attendant de voir la porte de la maison pour savoir si sa mère est encore vivante:
"Machrab, depuis ton départ, dix-huit ans ont passé, vois d'abord si ta mère est vivante..."
Il s'agit de ne pas désespérer de la porte. L'ouvrir ouvrira un jardin. Un paradis clos comme une maison maternelle ou ouvert comme le pré qui descend vers la rivière?


Les deux vers de Mallarmé que cite Jacottet à la fin de son livre me donnent envie de courir au jardin surprendre la huppe entrevue seulement sur l'île de Kerkennah, au mois de mai.

"L'oiseau qu'on n'ouït jamais
qu'une fois en la vie."

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