mercredi 7 mai 2014

Laraba Maman, Nigeria, une liste

Tu n'as pas été posée. Pas une fille posée dès le commencement, non.
Difficile début.

C'est Bosseigne qui parle. Nous sommes dehors, la terre est sous nos pieds. Nus, les miens dans l'herbe. Ceux de Bosseigne, nus dans des sandales.

Posée bien droite sur la terre, tu vois. Comme ça. Comme on doit se tenir.

Bosseigne joue. Bosseigne s'amuse. A mes dépens.

Lorsqu'un enfant naît, on doit le poser nu sur la terre et ensuite l'eau. Mais d'abord la terre.
Les filles et les garçons?
Oui, peu importe. Il faut être posé. Déposer. Mis sur terre. Pas en terre, évidemment. Et puis l'eau.
Le baptême?
Un bain fait l'affaire. Mais la terre est irremplaçable.
Dans les maternités, c'est difficile.
Au retour à la maison, un jardin, un pré feront l'affaire.
Laraba Maman est un des noms de la liste.
Quelle? demande Bosseigne occupé à enlever le lierre qui enserre le tronc du figuier.
Liste?
Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Est-ce que ça a.
Non, la liste des filles enlevées au Nigeria.
Il y a eu des enlèvements nombreux, les Sabines par exemple.
Non, là, des filles, par centaines, enlevées pour.
Et ce nom que tu as dit une mère, une jeune mère?
Non, un nom de famille, pris dans la liste des Deborah, Naomi, Ruth, Laraba...

Drôle de nom de famille.
Un nom comme un autre.
La famille.
Justement.
Et pourquoi.
On les a enlevées pour les vendre comme esclaves.
Et cette histoire t'empêche de marcher droit, c'est ça?

Bosseigne a remarqué ma boiterie.

Dans l'herbe, je ne boite pas. Je me pose. Je suis l'enfant posée par terre. Père, mère, terre.
Je ne suis ni ton père ni ta mère, s'esclaffe mon parent.
Il arrive que l'on puisse s'appuyer soi-même sur la terre, de toutes ses forces.
Et Laraba Maman?
Elle est avec nous, là. C'est comme si je la connaissais, elle et ses copines. Certaines de la même famille, des soeurs. Elles riaient beaucoup. Avant.
Tu n'as jamais eu de soeur.
Ni de frère. Mais je suis en mesure de.
Comprendre, oui.
Une fois quelqu'un m'a dit une chose injuste que je n'ai pas oubliée. Cette personne avait perdu son frère.
Oui?
Elle a dit tu ne peux pas comprendre, toi qui n'as jamais eu de frère.
C'est idiot.
D'autant qu'un peu avant une de mes amies avait elle aussi perdu son frère et nous avions pleuré ensemble.
Ce frère que tu n'avais pas eu.
Oui.
Vous l'avez pleuré ensemble.
Oui.
Et Laraba?
Elle est vivante. Ce n'est pas ma soeur. Dans la liste il n'y a qu'elle qui porte ce patronyme. Pas de cousine ni de soeur avec elle. Quelques amies, des filles du même âge.
Maman.

On est restés là, un peu étourdis par la chaleur venue d'un coup.
Par les mots aussi.
Et par l'absence.
De Laraba Maman.
Et des autres lycéennes.
Et aussi des autres.
Les absents, enlevés.
Qu'on aimait.
Puis Bosseigne.
A dit allons boire un café.
C'est une bonne idée.
Café du Nigéria.
Voilà.
encre et café SD



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