mardi 10 décembre 2019

Derrière mon bureau (titre emprunté à un livre de Werner Kofler, écrivain autrichien) pour fêter P.H.




Derrière mon bureau
(titre emprunté à un livre de Werner Kofler, écrivain autrichien)


Son voisin de Chaville reçoit le prix Nobel aujourd’hui.
Elle, une amie, n’habite pas très loin de lui.
En ce moment il est en Suède.
Ça ne se passera pas bien.
Ce prix ne passe pas bien.
Pourtant, à l’annonce, j’avais envie d’applaudir. De dire combien ce prix était mérité. Mais un prix n’est pas seulement couronnement d’une œuvre, fût-elle littéraire. Combien cette nouvelle me donnait de l’espoir.
Je ne sais pas si mon enthousiasme me trompait.
Et j’essaie aujourd’hui de savoir si.
Si.
Je ne sais pas si c’est une bonne idée, ce prix. Le mot implique trop de sacrifices. On pourrait objecter d’autres noms d’écrivains tels autres autrichiens, T.B., W. K. ou une autrichienne aussi, E.J. Ou encore une poète, encore autrichienne, F.M. Certains écrivains autrichiens ont refusé les prix qu’on leur attribuait, ont écrit férocement à leur sujet, désignant une société aveugle.
Un si petit pays nourrit la littérature de toute ses colères.
De son passé détesté.
Et le Nobel. Dont la charge politique n’est plus à démontrer.
Ai-je bien choisi mon jour pour défendre un écrivain autrichien dont l’œuvre tout entière (ou presque) m’accompagne ?
Je voudrais réfléchir si fort et si bien que je trouverais les bons arguments à opposer aux détracteurs de P.H. Par où commencer ? Et peut-on convaincre qui a déjà son opinion ? Comme si, à mon tour, je pouvais être convaincue que donner le Nobel à Handke est une faute.
Ses livres m’entourent depuis longtemps et depuis quelques années, quasi quotidiennement. Le Recommencement a inauguré la série.
Et ne m’a plus lâché une oeuvre foisonnante et nécessaire, au même titre que d’autres bien entendu, mais en chemin, toujours recommencé, une lecture vivifiante et la proximité de mon amie, là-bas, près des bois de Chaville où avec P.H. nous ramassons des champignons et écoutons les fous parler de leurs relations avec les arbres et les rochers.
Ce n’est pas un argument recevable.
Comment faire. Lire, relire Handke, sa mélancolique ballade dans les paysages slovènes me parle tellement que je ne dois pas y voir très clair dans les soubassements idéologiques d’un tel retour. Je retrouve l’enfant que j’ai été à la recherche des traces du passé enfui dont j’ai senti la présence dans la parole maternelle. L’Espagne traversée, les lieux et les humains qui les fréquentent. Les animaux aussi.
La marche, le voyage en bus, la solitude.
L’aisance à se couler dans un lieu, la nuit, à sauter les murets, à se retrouver dans une gare ou une auberge, seul. La solitude certainement y est pour quelque chose, dans cette parenté.
Et puis il y a la voisine de P.H.
Elle aussi l’aime beaucoup. Elle a de la solitude en elle. Beaucoup. Et un pays douloureux que je ne nommerai pas. L’Histoire, celle qui fait mal, elle connaît.
Serbie, Kosovo, Slovénie.
J’ajouterai le pays de Rigoni Stern et le Karst.
Ce nom de lieu irrigue leurs oeuvres, et moi, j’y rajoute le Frioul de Pasolini rejoint par l’île au large de Marseille.
Cette ville occupe un espace si grand qu’elle est pour moi un pays, pays quitté, impossible à regagner, seulement écrire sa géographie disparue. Reste la Suisse. Ou qui sait ? une Autriche où Ingeborg Bachman accueillerait nos chemins qui bifurquent sans cesse ?
Je ne sais pas conclure cette notule d’un genre impossible à définir, ni éloge, ni critique, ni poème. Ai-je parlé du grand poète qu’est P.H. ?
Lorsqu’une oeuvre vous accompagne, et la voix de celui qui l’a écrit, on ne peut s’en séparer, on emporte un de ses livres en voyage quitte à ne pas le lire ; mais le livre est là, entre les vêtements et la trousse de toilette. Il accompagne amicalement le déplacement qui est une aventure, quel qu’il soit.
P.H. est à Stokholm aujourd’hui et moi, une de ses lectrices, j’ouvre un de ses livres et je recopie un extrait de Mon année dans la baie de Personne :
« Mais pourquoi s’attendait-elle toujours à trouver enfin devant soi, au prochain tournant, ce qui même dans cette manière de vivre manquait beaucoup, restait scandaleusement absent ? Pourquoi chercher, chercher, chercher ? »








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