Derrière mon bureau
(titre emprunté à un livre de Werner Kofler, écrivain
autrichien)
Son voisin de
Chaville reçoit le prix Nobel aujourd’hui.
Elle, une amie,
n’habite pas très loin de lui.
En ce moment il
est en Suède.
Ça ne se
passera pas bien.
Ce prix ne
passe pas bien.
Pourtant, à
l’annonce, j’avais envie d’applaudir. De dire combien ce prix était mérité.
Mais un prix n’est pas seulement couronnement d’une œuvre, fût-elle littéraire.
Combien cette nouvelle me donnait de l’espoir.
Je ne sais pas
si mon enthousiasme me trompait.
Et j’essaie
aujourd’hui de savoir si.
Si.
Je ne sais pas
si c’est une bonne idée, ce prix. Le mot implique trop de sacrifices. On
pourrait objecter d’autres noms d’écrivains tels autres autrichiens, T.B., W. K. ou une
autrichienne aussi, E.J. Ou encore une poète, encore autrichienne, F.M. Certains
écrivains autrichiens ont refusé les prix qu’on leur attribuait, ont écrit
férocement à leur sujet, désignant une société aveugle.
Un si petit
pays nourrit la littérature de toute ses colères.
De son passé
détesté.
Et le Nobel. Dont
la charge politique n’est plus à démontrer.
Ai-je bien choisi
mon jour pour défendre un écrivain autrichien dont l’œuvre tout entière (ou
presque) m’accompagne ?
Je voudrais
réfléchir si fort et si bien que je trouverais les bons arguments à opposer aux
détracteurs de P.H. Par où commencer ? Et peut-on convaincre qui a déjà
son opinion ? Comme si, à mon tour, je pouvais être convaincue que donner
le Nobel à Handke est une faute.
Ses livres
m’entourent depuis longtemps et depuis quelques années, quasi quotidiennement. Le Recommencement a inauguré la série.
Et ne m’a plus
lâché une oeuvre foisonnante et nécessaire, au même titre que d’autres bien
entendu, mais en chemin, toujours recommencé, une lecture vivifiante et la
proximité de mon amie, là-bas, près des bois de Chaville où avec P.H. nous
ramassons des champignons et écoutons les fous parler de leurs relations avec
les arbres et les rochers.
Ce n’est pas un
argument recevable.
Comment faire.
Lire, relire Handke, sa mélancolique ballade dans les paysages slovènes me
parle tellement que je ne dois pas y voir très clair dans les soubassements
idéologiques d’un tel retour. Je retrouve l’enfant que j’ai été à la recherche
des traces du passé enfui dont j’ai senti la présence dans la parole
maternelle. L’Espagne traversée, les lieux et les humains qui les fréquentent.
Les animaux aussi.
La marche, le
voyage en bus, la solitude.
L’aisance à se
couler dans un lieu, la nuit, à sauter les murets, à se retrouver dans une gare
ou une auberge, seul. La solitude certainement y est pour quelque chose, dans
cette parenté.
Et puis il y a
la voisine de P.H.
Elle aussi l’aime
beaucoup. Elle a de la solitude en elle. Beaucoup. Et un pays douloureux que je
ne nommerai pas. L’Histoire, celle qui fait mal, elle connaît.
Serbie, Kosovo,
Slovénie.
J’ajouterai le
pays de Rigoni Stern et le Karst.
Ce nom de lieu
irrigue leurs oeuvres, et moi, j’y rajoute le Frioul de Pasolini rejoint par l’île
au large de Marseille.
Cette ville
occupe un espace si grand qu’elle est pour moi un pays, pays quitté, impossible
à regagner, seulement écrire sa géographie disparue. Reste la Suisse. Ou qui
sait ? une Autriche où Ingeborg Bachman accueillerait nos chemins qui
bifurquent sans cesse ?
Je ne sais pas
conclure cette notule d’un genre impossible à définir, ni éloge, ni critique, ni
poème. Ai-je parlé du grand poète qu’est P.H. ?
Lorsqu’une oeuvre
vous accompagne, et la voix de celui qui l’a écrit, on ne peut s’en séparer, on
emporte un de ses livres en voyage quitte à ne pas le lire ; mais le livre
est là, entre les vêtements et la trousse de toilette. Il accompagne
amicalement le déplacement qui est une aventure, quel qu’il soit.
P.H. est à
Stokholm aujourd’hui et moi, une de ses lectrices, j’ouvre un de ses livres et
je recopie un extrait de Mon année dans la baie de Personne :
« Mais pourquoi
s’attendait-elle toujours à trouver enfin devant soi, au prochain tournant, ce
qui même dans cette manière de vivre manquait beaucoup, restait scandaleusement
absent ? Pourquoi chercher, chercher, chercher ? »
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