dimanche 28 juin 2020

Ich, piètre jardinier, rigole Bosseigne.


Bosseigne.
Se renommer soi-même n'est pas aisé.
Passer de Ich le jardinier à ce nouveau nom.
Pas si nouveau murmure une petite voix, rappelle-toi.

Il y a eu un Bosseigne.
Dans un jardin, une maison, des livres.
Et puis Ich est venu et l'a éclipsé.
C'est ainsi que les personnages vivent et meurent, puis se relèvent du livre refermé.

Ich ce matin, Bosseigne hier soir.
Donc au jardin, ils s'étonnent ensemble.
Tant de graines semées et  une seule a germé.
Lorsque Ich a dispersé dans la terre les petites graines de Cosmos, fleurs qu'il aime particulièrement à cause du lien avec la jalousie qu'il a  éprouvée il y a longtemps pour une femme qui vivait au milieu des fleurs de Cosmos, il espérait reconstituer un parterre joyeux et coloré.
Une seule graine a fleuri, les autres emportées par les fourmis.
Ich, piètre jardinier, rigole Bosseigne.
Annie repartie, un autre a pris la place. Ma place, soupire Ich.
Perdre son nom est une épreuve.
Voir disparaître ses espérances, une autre.





Ich va-t-il devenir un autre?

Se renommer?
Bosseigne?


vendredi 26 juin 2020

Ich et son ogre


Ich se réveille mal ou plutôt son nom ne lui va plus.
Ich doit changer.
Ton nom a été déjà pris trop de fois, lui a dit Annie.
Trop de Ich en ce monde, mon ami.
Alors ?
Rajouter un -n- est impensable.
Penser sa propre mort dans son nom, il ne peut l’envisager.
C’était joli, Ich, regrette-t-il.
Inch est impossible.
Pourquoi ? demande Annie.
À cause d’une petite lettre qui change tout.
Il me faut réfléchir. Io, peut-être, un peu génisse tout de même.
I, trop court pour nos bouches françaises.
Son père n’était pas un ogre, n’a pas avalé son nom, le lui a donné.
Que faire ?
Se débaptiser est douleur. Certains, certaines le font.
Ça a un prix, penser autre son nom d’enfance.
Je le laisse sans joie. Doit-il vraiment changer de nom à cause d’un livre qu’il n’a pas lu et qui existe ?
Le lire sans tarder, réparer son erreur, rester soi-même ?
Se penser autre que Ich ?
Est-ce seulement possible ?
Bosseigne, alors ?


mardi 23 juin 2020

Ich invente deux verbes


(54)


Ich invente deux verbes.
Le verbe fait la phrase. Une phrase sans verbe est oiseau sans aile.
La lettre fait le mot, un pronom par exemple.
Parfois les humains parlent. Ne se comprennent pas. 
Essaient de se parlent en langue.
Parfois s’égarent et se perdent, disparaissent aussi.

Sudiquer et nuager vont bien ensemble, pense Ich.
L’un est impersonnel, il nuage ce soir. L’autre se noue à toutes les personnes.
Nous sudiquons si fort que nous ne ressentons plus la chaleur.
Ich s’amuse en désherbant. S’arrête sur un mot mauvaise herbe.
Le considère et selon le cas le laisse en terre.

Ich éloigne la vipère et accueille le lézard vert. L’un a sa place au jardin et l’autre pas.
Hétéroclite par exemple, ni clitoris, ni sexe. Un rien du tout de désolant. À proscrire, un mot mal embouché qui trouvera sa place au compost si ce n’est à la poubelle.

A.D. écoute Ich et à son tour évalue le vieil adjectif.
On lui préfèrera sudiqué, dit-elle pour le plus grand plaisir du jardinier.
Un groupe de personnes sudiquées est un groupe très fréquentable.
Ce qui n’est pas le cas d’un groupe hétéroclite.
Annie et Ich rient doucement.
Ont réglé son compte au vocabulaire.
Et peuvent maintenant se promener dans la même langue.
Ich et Annie ont tout loisir de sudiquer où bon leur semble.




mercredi 17 juin 2020

Nombres et lettres


(53)

3 est-ce le bon nombre de lettres pour un nom, se demande Ich ?
Trois, ça fait un peu trinité sans la mer, ni la mère.
Deux, ce serait idéal. Son amie jardinière se nomme Jo. On pourrait objecter qu’elle porte en réalité un nom plus long.
On lui dit Jo et ça va très bien à sa longue silhouette élégante.
Jo, deux lettres.
Le nombre de lettres importe, bien plus qu’on ne le croit.
D’ailleurs, A.D. revient souvent sur l’importance des nombres.
Il y a aussi les lettres.
D’où la tentation de rajouter un -n- à Ich.
Passer de 3 à 4 ouvrirait un peu la maison, y ferait entrer un peu d’air.
Mais ce -n- consonne curieusement avec un mot français dont Ich ne veut pas.
N, ou le serpent dans l’alphabet hébreu.
Ou N, signe du Nord.
Et puis il y a le genre des lettres. Dit-on un -n- ou une ?
Les typographes en savent long sur la question.
Mais un jardinier ?
N.
L’esse du boucher est féminine.
Y accroche-t-on les autres lettres, questionne Ich sans obtenir de réponse.
Poules, coq et chats restent muets.
Et Ich n’est toujours pas Inch.



Les noms des consonnes qui commencent par une voyelle (f [= effe], h [= ache…], l, m, n, r, s) étaient traditionnellement féminins ; à l'heure actuelle, cependant, le masculin prévaut (y compris dans l'édition la plus récente du Dictionnaire de l'Académie). Dans le passé, les deux genres ont été admis pour la lettre f. En ce qui concerne le reste des consonnes ainsi que les voyelles, le masculin est généralement incontesté.

lundi 15 juin 2020

L'acacia


(52)

Ich a lu quelque part (A.D. ? récits hassidiques ?) que sous un acacia on dit toujours la vérité.
Ich réfléchit. Hier il en appris de drôles sur le genre des lettres et en est encore tout retourné.
Et là, l’acacia.
Il se souvient du récit de Claude Simon. Le romancier évoquait-il cette qualité particulière de l’arbre ?
En tout cas, dans le vieux jardin, Ich avait été obligé de faire abattre l’acacia qui menaçait de tomber sur la maison ou la rue. Un moment douloureux que les élagueurs avaient réduit en coupant si vite le vieil arbre que Ich avait eu à peine le temps de le prendre en photo gisant en rondins dans la benne du camion.
Ich se promit de se souvenir de cette particularité et d’en parler au Petit le faiseur de mensonges.
Nous nous trouverons un acacia et sous ses branchages nous lancerons des beaux mensonges comme bateaux à la mer.
Et nous verrons bien.


Si c'est vrai.


samedi 13 juin 2020

Trois morts en français?


(51)

Trois morts. 

Ich se demande comment distinguer en français les deux noms, la mort et ceux qui sont morts. Ce matin, Ich a croisé trois fois la mort.
Ce qui fait trois corps morts.
La morte, i morti.
Un jeune noyé dans le lac Michigan tué par des blancs au début du XX°siècle.
(entendu à la radio)
Un jeune renard tué par une auto.
Un hérisson écrasé sur la route.
Trois fois la mort.

Sur la route.

petite cabane au jardin de Ich

jeudi 11 juin 2020

Ich a les pieds dans la merde.



(47)
Ich a les pieds dans la merde. 
Sens propre ou sens figuré demande le Petit en rigolant.
Ich nettoie le poulailler en sabots, il a plu, la terre est collante. Il ratisse les déjections et ce que les poules ont refusé de manger. C’est un travail nécessaire. 
Ne crois pas que tu auras des œufs sans un peu d’effort pour notre confort, semblent dire les poules.
La rime effort/confort fait rire le Petit. On peut faire plus fort encore, et il grimpe sur le figuier, se souvenant qu’un garçon avant lui avait décidé en son temps de ne plus jamais redescendre de son arbre. Une yeuse. Rien à voir avec le modeste figuier. 
De là-haut, le petit surveille le travail de Ich et constate que le poulailler propre est bien joli, ratissé de frais. Presque un jardin japonais, Ryôan-Ji du pauvre, explique Ich. De quoi apaiser l’inquiétude de celui qui ne fait point œuvre, à part quotidienne et ordinaire.
Oeuvre  toutefois qui nourrit son petit monde.

(48)

À la question, qui es-tu? Ich répond, presque naturellement:
" Je suis un Luftmensch, piéton de l'air, si vous préférez.
Et le vent-cisaille ne manque pas pour envoler nos paroles.
Nous qui ne voulons jamais mourir. "


lundi 1 juin 2020

Un pays, est-ce la même chose qu’un jardin ?


(42)

Ich lit beaucoup de romans portugais.
Pour quelle raison, pourquoi.
Une réponse à l’improbable question que personne ne lui posera jamais.
Ich sourit tout seul dans ses alignements d’artichauts et de salades.
En tout cas, Ich ne lit guère de romans français.
Quelle histoire y retrouver ?
Celle de Perec y apparaît peu.
Donc une réponse possible.
Que lui manque-t-il à lire dans les romans de ses contemporains qu’il trouve dans la poésie ?
Un pays, peut-être.
Ich a un jardin. Il n’est pas le seul.
Un pays, est-ce la même chose qu’un jardin ?
S’y rajoute une dimension verticale et temporelle que ne peut avoir un jardin comme le sien, vieux tout au plus d’une vingtaine d’années.
La langue alors. Même chose.
Pourtant Ich, s’il connaît un peu la langue portugaise, lit des traductions.
Quand il est au jardin, se dit le jardinier, les pensées ne manquent pas.
À la maison, c’est différent.
Deux pays alors ?
Maison, jardin ?
Et tout autour ?
La langue.